Mamani Keïta, chanteuse malienne installée à Paris, a sorti cette semaine un disque pêchu, Gagner l’argent français. Beau son mandingue, paroles en bambara, le tout électrifié par Nicolas Repac, guitariste rock et collaborateur habituel d’Arthur H. Cette ancienne choriste de Salif Keita et de Dee Dee Bridgewater s’offre un coup de rétro sur sa vie de galérienne en France. Sept années sans papiers, une interdiction de territoire et douze ans sans pouvoir se rendre au Mali. Puis la régularisation providentielle pour cause de Mariam, sa fille née en France il y a quatorze ans.
Préfecture. La chanteuse, éternelle jeune femme à la voix sans âge, assume le côté rock’n’roll de sa vie comme de sa musique. Elle se souvient d’avoir joué le tout pour le tout en allant à la préfecture avec son bébé, emportant une réserve de couches et de biberons, dans la crainte de finir en rétention puis dans le prochain avion pour le Mali. La France lui a finalement donné sa chance. Elle est remarquée par des producteurs, dont le label No Format qui sort son album. Mais Mamani Keïta ne porte pas un regard très réjoui sur l’état du pays. «Un jour, j’étais au café avec des copines, et personne ne pouvait me dépanner de 2 euros pour le goûter de ma fille. Même les Français souffrent. Depuis 1997, ça ne va pas et ça fait trois ans que c’est encore pire… Je me suis dit : mon Dieu, la France est devenue une catastrophe ! Alors j’ai pensé en faire une chanson.» Elle fredonne : «Pas facile gagner l’argent français, bosser bosser.»Titre entêtant travaillé avec son compatriote guitariste Djeli Moussa Kouyaté, et qui reprend deux mesures de Bosser bosser,vieux tube du Malien Sorry Bamba arrangé à sa sauce : petit grain de sel et bonne dose de piment.
La forte personnalité de la chanteuse perce dans le disque, comme son goût pour les mixtures mandingues et rock, déjà explorées dans son premier album, Electro Bamako. «Moi, c’est moderne que j’ai toujours aimé», dit-elle. Mère célibataire, trois piercings au visage, Mamani Keïta est perçue à Bamako comme une femme de tête, avec un côté masculin revendiqué. Elle aime la liberté, sans perdre de vue un certain sens de la dignité. Dans ses chansons, elle aborde les thèmes récurrents du pays natal : l’honneur, l’amour, l’harmonie dans les relations humaines. Elle appelle les gens qui se disputent à ne pas dire de mots humiliants, traite des méfaits de la jalousie, appelle les hommes ayant des responsabilités à avoir bon cœur…
Aventure. Mamani Keïta n’a jamais été à l’école, ce qu’elle considère comme une chance perdue. Sa mère l’a confiée à sa grand-mère, guérisseuse traditionnelle avec qui elle a grandi dans le chant. Elle l’accompagnait quand quelqu’un tombait en transe, comme possédé, et l’observait soigner les gens par le chant et la science des cauris. C’est sa grand-mère qui trace la voie pour elle, décrétant un jour que la petite Mamani, qui puisait de l’eau en chantant, aurait une «vie d’aventure».
Lauréate du prix de la meilleure soliste de Bamako, elle est engagée au Badema National, un orchestre renommé, puis par Salif Keita. A 17 ans, elle tourne avec cette star de la musique africaine en Europe, et débarque en 1987 en France «sans penser une minute faire tout ce temps-là ici». Elle se souvient de ses premières impressions : «Il faisait vraiment froid, tout le monde courait, les portes étaient fermées, contrairement à chez nous où l’on se retrouve dehors.» Cet album longuement travaillé sonne volontairement live. La kora se marie avec la clarinette, l’afrobeat a une sonorité rock qui nous rappelle qu’entre Paris et Bamako, malgré tous les problèmes, y a d’la joie.