Willem. Denyse Willem. Née en 1943. Début des années 80, j'avais 12-13 ans. C'est l'âge où la popularité a beaucoup d'importance. Quand on est populaire et que l'on fait partie d'un groupe d'amis, il y a toujours un ou deux individus qui sont marginaux. Marginal, juste pas comme les autres, s'habille pas pareil, c'est tout. Une des pas comme les autres à cet âge-là était mon amie Aurore, elle portait pas des Lacoste et n'allait pas au Club Med (moi non plus, en fait). Sa mère, c'était Denyse, Denyse Willem.
Je suis allée chez mon amie quelques fois; on avait fabriqué un dictionnaire de latin : vocabulaire, conjugaison, déclinaison, etc. On a les passe-temps qu'on peut. À cette époque, c'était les sports cérébraux.
Sa maison était de brique peinte en noir, rue de la Seconde Reine à Bruxelles dans la commune d'Uccle. Quatre étages incluant un grenier. De la dentelle dans toutes les fenêtres et chaque pièce peinte d'une couleur différente et richement décorée. Sur les murs, des tableaux, d'immenses tableaux. Des fois, de petits dessins au bic. Au grenier, un atelier avec une verrière. Tout un atelier! Il y avait des pièces terminées et il y avait certainement un chevalet avec une toile en cours. De l'acrylique, je crois, ou était-ce la tempera? Denyse peignait avec force détails. Elle peignait des femmes, dans des environnements surréalistes, avec de drôles de souliers et des trucs qui sortaient de leurs ventres, des organes nus, souvent des seins. Des femmes quoi, des maternelles, des animales, des matrones, des femmes en chair et en os. C'était belge, flamand dans le style, mais Dali dans la contemporainité.
Je l'ai regardé faire quelques fois, en silence et avec la fascination de mes yeux d'enfant. Cette femme, aussi éloignée soit-elle, ne sait pas l'impact qu'elle a eu sur ma vie. À 14 ans, arrivée au Québec, je dessinais à ne plus vouloir dormir. Mon cours d'arts plastiques au secondaire est devenu mon préféré. Que j'étais prolifique! Je choisissais même d'étudier les arts plastiques au Cégep du Vieux-Montréal car c'était un des rares moments dans ma vie où je savais ce que je voulais en faire : je voulais devenir une artiste! Mon père, chinois comme il est, m'a expliqué pendant une heure que les arts, on fait cela comme hobby, comme passe-temps, pas comme gagne-pain. Fais-toi z'en pas, Papa, j'ai eu ma leçon vite, dès la 1ère année à Concordia, j'ai compris que je n'étais pas de taille. Depuis, je dessine à peine, ne peins pas, fais quelques collages mais joue surtout avec les ordis et les mots.
Mais Denyse, la grande Denyse, tu m'as donné le goût de l'art, des choses d'expression et d'esthétisme, de la matière plastique, du tracé, de l'organique, de la manière dont l'humain transmet la beauté. Cet intérêt est vif chez moi et même si je ne l'exprime pas à ta manière, je t'en remercie.
Il va de soi que j'ai une admiration sans borne pour les artistes, ceux qui en vivent sans compromis, dont le talent transcende notre imagination et qui nous font voyager du bout de leur plume, de la pointe de leur pinceau.
La mère et l'enfant, 1980, acrylique sur toile
Le nouveau valet de chambre, 1999, aquarelle sur papier