C’est plein d’idées, La Fabrique des singularités, dont on a dit ici qu’on reparlerait.
Meizoz y traite des postures d’écrivains.
La posture, c’est le fait pour les artistes de se composer une image promotionnelle, mais c’est aussi un moyen de légitimer une prise de parole. Un exemple intéressant, dont parle Meizoz, est celui de Céline.
Céline n’est pas Destouches. Destouches est le personnage réel, Céline la posture. Mais Meizoz montre comment, à travers une construction qui tend vers l’autofiction, Céline a validé et assumé les histoires sur l’enfance qu’il a racontées dans Mort à crédit.
Si on se base en effet sur l’autobiographie réelle de Destouches, Mort à crédit n’est pas une autobiographie. La misère, les faillites, les problèmes d’argent, le père raté, la mère écrasée de travail, les baffes, etc. tout ça est faux, ou au moins extrêmement exagéré, tiré profondément vers la noirceur.
Pourtant, Céline va ensuite assumer ces données comme si elles étaient biographiques, les proclamer dans des entretiens journalistiques. Il y aura une contamination de la fiction dans le réel. Notre auteur va assumer ce que Meizoz appelle un « script prolétarien typique des années 1930, version radicalisée de l’idéal de la IIIème République, celui de l’enfant pauvre qui réussit ». Il sera le médecin des nécessiteux, le mutilé de guerre, le gosse ayant dû travailler dès 12 ans.
Tout ceci colle à l’école populiste du moment, dont Hôtel du Nord d’Eugène Dabit est le plus grand succès, publié l’année où Céline commence à rédiger le Voyage.
Anecdote amusante et éclairante: Destouches a fait promettre à sa mère de ne jamais lire Mort à crédit. Il ne voulait pas qu’elle se choque du portrait qu’il a fait d’elle ni qu’elle conteste les faits qu’il présente désormais comme ceux qu’il a réellement vécus.
Et autre chose intéressante que relève Meizoz: Céline prend le pas sur Destouches dans la correspondance du Voyage jusqu’en 51, c’est-à-dire au procès. Durant cette période, il signe principalement ses lettres avec son pseudonyme. Après, encombré peut-être par ce personnage qu’il a créé et auquel il a été complètement identifié (celui des pamphlets notamment), il se remet à signer Destouches. Mais le personnage, ou, comme dirait Meizoz, la posture de Céline est celle qui restera.
Jérome Meizoz, La Fabrique des singularités, Postures littéraires II, Slatkine Erudition, Genève 2011