J'aborde peu la littérature, ici. D'ailleurs, vous voyez les deux gros pavés rectangles qui ne demandent qu'à s'animer pour vous, c'est quelqu'un d'autre qui vous en parlera. Et j'espère (pas pour moi, pour vous qui aimez les livres, mais aussi la littérature, pas seulement la lecture, selon une distinction que j'aime bien) que vous allez visionner ces deux vidéos un peu longues. C'est juste passionnant.
J'aime ce mec, Philippe Djian, on se retrouve sur plein de choses et plus,notamment la littérature évidemment, mais aussi le cinéma, la musique, la danse, la peinture. Longtemps il a fuit les caméras, timide peut-être pas, mais pas à l'aise, cependant depuis quelque temps, il semble avoir viré sa cuti. Il arrive à s'exprimer et je pense qu'une sorte de malentendu s'est évaporé. C'est vrai, on invite des écrivains à la télé et on les fait parler de tout et de rien, rarement de littérature. Philippe Djian en était presque gênant quand, à propos de tout et de rien, justement, il répondait machine à écrire, syntaxe et virgule. Il faisait chier tout le monde. Maintenant on s'est habitué, on sait que Philippe Djian est un monomaniaque, il pense, il vit littérature et ne sait parler que de ça.
Alors maintenant on le laisse parler, et c'est marrant, car en ne parlant que de littérature, d'écrivains, de la place de la virgule (comme Hitch aurait pu sans se lasser nous bassiner des théories sans fin sur la place de la caméra), il semble nous entretenir de tout auttre chose. Du monde, de l'état du monde, des gens qui n'écrivent pas, qui lisent ou ne lisent pas. Il se marre en évoquant un président de la République qui pencherait (dans un premier jet, j'avais mis un autre verbe que "pencher", mais il faut se méfier désormais, Pencher, c'est avoir un penchant, c'est correct et non injurieux. Quoique, en quoi bander est injurieux ?) pour Animal Collective, pas pour Mireille Mathieu et on sent qu'on est pas loin de la littérature. On sent que la littérature se donne pour objet de dresser l'état du monde et que le monde circule partout librement entre les feuilles en papier des livres. Et les livres ne sont jamais désincarnés pour Djian. Il ne peut aborder la littérature sans évoquer les auteurs. Avec Hemingway, Carver, McLiam Wilson, mais aussi Céline ou Echenoz, la phrase prend du corps, de la puissance et de la personnalité.
En 2009, à l'occasion de la publication d'un de ses romans les plus forts, Impardonnables, Mediapart demandait à Djian, non pas de faire sa promo (ça, il a du mal), mais d'accepter d'être confronté à ses propres phrases, des phrases figurant dans Impardonnables, et, non de les commenter, mais de parler à partir de l'écrit. Quand Philippe Djian se prête à cet exercice, c'est forcément passionnant. Ce type qui refuse toute idée de promotion est la séduction incarnée. La vidéo le dessert, à cause d'un vilain reflet rougeâtre sur le visage. Faites abstraction et regardez comment ce mec parle, écouter comment il parle. Monomaniaque littérateur, je le disais plus haut, il parle au final de nous, de vous, il dit sa détestation des coteries (qui le lui rendent bien), de sa surdité partielle et fait briller son oeil pour le jaune de Van Gogh, un modèle apparemment.
André Téchiné ayant présenté à Cannes son adaptation d'Impardonnables (qu'il situe à Venise, on se demande vraiment pourquoi), ce livre revient dans l'actualité et c'était l'occasion pour moi de partager avec vous ces moments privilégiés. Je souhaite aux courageux qui vont se fader les deux vidéos ou se les faire en extraits, un immense plaisir, comparable à celui que j'ai eu la chance de rencontrer. La modestie de ce type est, quand on compare à certains, inconcevable.
Philippe Djian pour Mediapart 1/2
Philippe Djian face à ses phrases – 1 par Mediapart
Philippe Djian pour Mediapart 2/2
Philippe Djian face à ses phrases – 2 par Mediapart
Vengeance, le nouveau roman de Philippe Djian sera publié par Gallimard le 6 juin. L'occasion de revenir à cet auteur qui est ici chez lui, c'est évident.