Et dans la plupart de ses formes en place, la démocratie se concrétise par un gouvernement, justement, c’est-à-dire des élus, directs ou indirects, censés représenter et agir au nom du peuple et notamment de leurs électeurs – même alors qu’ils ne les connaissent pas – ils sont forts les élus. On voit d’ailleurs le résultat chaque jour qui passe.
L’élu, le personnage politique, est désormais dans notre société celui qui compte – enfin, parfois on aimerait qu’il compte mieux. Le « PAF » des médias alterne quotidiennement les « célébrités » avec les politiciens et les « infos » sont pour l’essentiel constituées des derniers potins, des dernières « petites phrases » de tel ou tel homme politique, tel ou tel élu donc.
Mais finalement, sait-on bien ce qu’est le rôle d’un élu, et surtout, ce qu’il devrait être ? Un homme ou une femme politique en charge d’un – ou de plusieurs – mandat(s) électoraux est-il dans son rôle lors d’une interview télévisée ? Et finalement, pourquoi des élus si c’est pour un tel cirque ?
Je ne prétends bien sûr pas apprendre grand-chose au lecteur par les quelques rappels ci-dessous, mais plutôt attirer l’attention sur les sujets de fond que ces fonctions électives portent, voire cachent et qui par la force de l’habitude ont tendance à tomber dans l’oubli.
Ainsi, qu’est-ce qu’un député au fait ? Selon le dictionnaire, il s’agit de notre « ambassadeur, délégué envoyé en mission » ou encore d’un « représentant du peuple.» (On trouve bien d’autres définitions, mais moins fonctionnelles.) Cela semble assez cohérent avec la fonction, le rôle d’un député tel qu’on nous le présente à l’école, où en substance on retient que le député est notre représentant pour voter (ou non) les lois – auxquelles nous devrons dès lors nous soumettre.
Pour un maire, sachant que maire et député sont probablement – à part le président – les deux symboles les plus forts de la fonction élective en France, on trouve « premier magistrat dans les communes, élu par le conseil municipal » ou « premier magistrat municipal, élu par les conseillers municipaux » mais surtout « représente l’autorité municipale […] détenteur du pouvoir exécutif au niveau d’une ville ou d’un village.» Comment ça ? Quelqu’un que nous aurions élu, donc qui nous représente, pourrait avoir de l’autorité sur nous ?
Car nous entrons là dans le sujet. On le voit dans les deux cas, député et maire nous représentent mais pour nous imposer ensuite une autorité qu’ils incarnent, par la loi votée et par son exécution. Il y a bivalence entre délégation, représentation, où le pouvoir est de notre côté puisque c’est nous qui votons et, à l’inverse, autorité où le pouvoir est de leur côté et le contrôle de cette autorité n’est pas toujours très clair. Le pouvoir démocratique est censé être en nos mains, mais l’autorité concrète n’y est pas. Première question troublante.
Nous sommes en pleine « affaire DSK », il y aurait beaucoup à dire mais je préfère ne pas l’évoquer et prendre une référence plus à droite et plus ancienne, plus politique aussi. En 1985, dans Le Figaro, Alain Juppé, alors plein d’avenir et dont les affaires étaient encore dans son futur, écrit un vaillant article où il affiche un libéralisme franc et méconnaissable aujourd’hui. Je le cite:
« Sans doute [...] ce programme [...] n’aura-t-il pas la saveur forte de nos vieilles «stratégies de rupture». [...] il marquera dans notre histoire un changement décisif, répudiant enfin le colbertisme pour vérifier ce trait de sagesse libérale si fortement exprimé par Benjamin Constant : «Plus on laisse de moyens à la disposition de l’industrie des particuliers, plus un État prospère.» » – A.Juppé, in Le Figaro, 1985.
Quand je lis cela, je me dis que décidément, nos politiques – du moins ceux se disant libéraux, voire tous – ne sont pas idiots, ni probablement incultes, ils connaissent donc probablement a minima les textes, auteurs ou valeurs libérales. Citer Benjamin Constant, même si cela n’est ni Bastiat ni Rothbard, c’est déjà une référence solide et qui démontre une culture indiscutable. On est donc légitimement plein d’espoir, se disant qu’enfin, un politique citant Constant ne peut pas être totalement mauvais, qu’il va forcément nous emmener vers le paradis fiscal dont nous avons besoin et nous rêvons.
Et pourtant, seize ans après, force est de constater. Soyons clair, il ne s’agit pas en l’espèce de centrer la critique sur Juppé, mais plutôt de le prendre comme signe d’un syndrome. Entre la pensée et les actes, il y a un gouffre immense. Pourquoi donc ? A mon sens hélas, c’est le système politicien, je dirais même la démocratie, qui les confinent dans un jeu, dans un registre, où ils ne décident pas selon leur conviction ou leur pensée, mais selon la mode démagogique du moment. Oui, je sais, je n’invente rien.
Mais cela pose néanmoins la question, dans une démocratie, du moins en France, de l’espoir lucide qu’on peut fonder en un élu ou en un candidat à une élection, puisque celui-ci a toutes les chances de finir par ne pas respecter, ne pas mettre en œuvre, les principes ou idées qu’il – ou elle bien sûr – aura portés en campagne. Sauf peut-être de rares « purs » comme Ron Paul, ou Alain Madelin ? – voire… Mais donc comment penser que l’avenir des libéraux peut passer par la confiance donnée en quelques personnalités ou présidents de partis, qui une fois élus, risquent fort devenir de nouveaux A.Juppé, et non des Ron Paul ? Seconde question, clé celle-ci.
Ces questions, comme bien d’autres, posent en fait celle de la légitimité de l’élu. Pas l’individu lui-même – pour un libéral, l’individu est la valeur centrale. Mais l’élu dans son rôle, sa fonction. En fait, le libéral est un anti-démocrate – aïe, je vais encore me faire des amis – et dès lors, la fonction élective tombe toute seule. Pourquoi et comment être anti-démocrate, ce malgré Churchill ?
La démocratie moderne, représentative donc, repose sur le principe du suffrage universel selon lequel la décision exprimée par la majorité des électeurs l’emporte sur l’opinion exprimée de même par ce qui devient alors la minorité – « opposition.» Porté aux nues dans le monde comme un principe facteur d’un progrès immense de la civilisation moderne, on constate pourtant que ce mécanisme nie totalement l’individu et que la minorité, quelle qu’elle soit, se voit imposée une autorité ou une décision qui n’est pas la sienne. Pour un libéral, cela n’est pas acceptable. D’ailleurs, un des grands auteurs francophones libéraux modernes, décrit la démocratie comme :
« Conçue comme liberté collective et règne de la majorité, la démocratie, qui institutionnalise la propriété collective, n’est qu’une forme de l’esclavage.» (Pierre Lemieux)
De nombreux écrits – par Pascal Salin, par Christian Michel, Rothbard, Hoppe et d’autres – existent qui viennent analyser en détails cette réalité de la démocratie. La démocratie, tyrannie de la majorité envers l’individu, ne peut donc être acceptée par un libéral. Dès lors, ses institutions ne peuvent de même qu’être imparfaites, incohérentes, pour ne pas dire illégitimes. L’élu dans ce cadre, quel qu’il soit, maire ou député ou sénateur ou que-sais-je, n’est qu’une incarnation de cette tyrannie, qui plus est cette fois de la part d’une minorité envers la majorité. L’élu ne peut donc être légitime et tout bon libéral ne peut se satisfaire d’une organisation politique où des élus sont porteurs d’une autorité supérieure à celle de leurs électeurs.
Mais sans élus, sans démocratie, comment faire ? Rappelons un instant la vision des auteurs sus-cités. Celle-ci repose sur deux idées centrales : il ne peut y avoir de société libre sans Droit, donc sans une fonction étatique forte – ce qu’on appelle souvent les fonctions régaliennes. Mais pour autant, cette fonction ne doit surtout pas être confiée à un quelconque gouvernement ou à une quelconque administration et doit – et peut – au contraire être réalisée par des entreprises privées offrant leurs services sur un marché libre et concurrentiel.
Cela surprend souvent le profane auquel on explique depuis sa naissance qu’au contraire il serait essentiel que les fonctions régaliennes soient dans le périmètre de l’État car sinon le « profit » aurait tôt fait de mettre en place l’équivalent d’une mafia exploitrice de la population. Cette thèse est pourtant totalement erronée comme le démontre les nombreux ouvrages et articles sur le sujet – on pense à l’ouvrage de Pierre Lemieux ci-dessus, les intervention de H-H.Hoppe telle «State or Private-Law Society» ou son ouvrage «A Theory of Socialism and Capitalism» ou encore bien sûr à Murray N. Rothbard, par exemple dans «For a New Liberty». L’idée directrice consiste à voir qu’il est de l’intérêt des compagnies d’assurance qu’il n’arrive rien à leur clients qui donc bénéficieraient de leur part de tous les services de sécurité, mais aussi de justice, que nous connaissons, à part que ces services seraient même d’un meilleur rapport qualité/prix du fait de la concurrence qui maintiendrait sa pression sur lesdits assureurs.
Quelles conséquences de cette analyse « purement libérale » sur la stratégie de conquête libérale et le rôle des partis politiques et des élus ? Il y a de nombreuses manières de faire avancer les idées libérales et ainsi peu à peu aider à faire basculer l’idéologie social-démocrate ambiante et établir celle de la liberté individuelle. Certains se lancent dans la création, l’animation et la promotion de partis politiques – on pense à plusieurs partis actuels ayant l’épithète « libéral(e) » dans leur bannière. Toute action faisant la promotion des idées libérale doit bien évidemment être applaudie et encouragée par les libéraux, mais la démarche partisane, comparée à d’autres telle la simple communication littéraire, n’est pas une démarche aussi neutre que certains voudraient nous le faire croire.
Car en effet, un parti, par construction, suppose un chef de parti et surtout suppose de prendre part à la logique électorale – car sinon, pourquoi ne pas simplement se contenter d’une association, d’un « think-tank » ou d’un institut centré sur l’enseignement et l’information ? La démarche partisane relève d’une stratégie « d’occupation du terrain » par les libéraux qui cherche à utiliser le système pour faire la promotion de nos idées. Les campagnes électorales sont à ce titre vues comme autant d’occasions de faire parler du libéralisme sous le prétexte de faire parler des candidats se présentant. Plus on parle dans la presse, plus on participe à des débats, plus on interpelle de par notre étiquette et plus le libéralisme avance – du moins c’est là la thèse.
Pourtant, poussons la logique d’un cran. Et si, comme l’espérait Alain Madelin en 2002, un candidat se voit remporter une élection ? Grande victoire certes, excellent signe et immense opportunité, sans doute. Mais notre libéral, tout libéral qu’il est, devient alors un élu, un élu comme un autre, avec ses qualités et ses avanies. Et surtout avec toutes les contradictions fondamentales et les pressions que nous avons vues plus haut avec l’exemple d’Alain Juppé. La question devient alors, comment être sûr que notre candidat idéal ne va pas devenir un élu « pourri » comme un autre ? Comment être certain que son programme sera mis en œuvre ? Permettez-moi d’en douter.
A moins d’être d’une rare force de caractère et d’une immense abnégation, le libéral sincère a toutes les chances de devenir un élu standard, incohérent, noyé dans ses contradictions et dans les méandres du système, non seulement pris entre l’action visant le dégraissage du mammouth et le besoin de durer électoralement, mais aussi soumis à la corruption et aux pressions. Il n’est pas donné à tout le monde d’être un Ron Paul. Et c’est pour cette raison que la voie la plus probable pour le développement des idées libérales n’est pas à mon sens celle des partis politiques, mais bien celle de l’enseignement, de la communication et de l’information directe de la population. Et le reste suivra.