Flashback. À l'occasion de cette 36ème session des Vendredis du vin, Philippe Rapiteau, the Pipette-man, nous invite à jeter un sérieux coup d'œil dans le rétroviseur. Vous faisiez quoi, le précédent millénaire? Encore à l'école primaire ou déjà immergé dans le monde professionnel? Avec suffisamment de revenus pour acquérir quelques bouteilles? Et suffisamment patient pour les laisser vieillir en cave? Vinogérontophiles, ce VDV est le vôtre. Si la simple évocation de robes supposées fripées, de tanins possiblement ridés ou d'arômes évolués de petite vieille qui se néglige vous procure un délicieux frisson sur l'échine, dépoussiérez vos flacons et sortez vos tire-bouchons! C'est quoi, d'abord, un bon vin vieux? Un bon vin vieux, c'est avant tout un vin qui a su rester jeune. Sur l'âge, mais pas décati. Tenant encore debout, sans l'aide d'une canne ou d'un déambulateur. Et, du coup, révélant tout le potentiel du terroir dont il est issu. Avec le temps, le cépage s'efface et laisse la place à la magie du lieu. Les arômes deviennent tertiaires, ce qui leur confère un charme certain, mais ça ne suffit pas à réjouir le palais. Si la bouche s'étiole, on dit que le vin a perdu son corps mais pas son âme. Maigre consolation. Les bons vivants ne se sentent pas concernés lorsqu'il s'agit d'étreindre des squelettes, comme le chante Brassens.
Dans les années 1990, la base essentielle des achats de vin des Éts Olif (formule empruntée au Sieur Boulard) était constituée de Grands crus classés bordelais. Ce qui pourrait être considéré comme une classique erreur de jeunesse se révèle néanmoins être finalement un plutôt bon placement, financier et gustatif, tant, à l'époque, le prix de ces bouteilles semblait dérisoire par rapport à ce qu'il peut être maintenant. Cela n'excuse rien, mais il faut désormais les vendre ou les boire. Ce n'est quand même pas tous les jours que l'on peut se dire que l'on s'en est jeté pour plus de 1000€ derrière la cravate, parce que de toute façon ça ne les vaut pas, qualitativement parlant! Les 2 bouteilles bordelaises ci-dessous m'ont coûté à peine 600 francs en tout. Du bon franc français du précédent millénaire, à l'époque où la baguette valait 1 ou 2 balles, guère plus qu'un petit noir au comptoir.
Le mois de mai, dans la famille Olif, c'est celui des anniversaires. Deux millésimes à fêter, loin d'être les meilleurs, malheureusement. Mais il reste quand même quelques flacons à ouvrir, qui permettent de juger de la jeunesse des récipiendaires. Et de jauger la qualité des vins achetés pour l'occasion, avec le secret espoir de les emmener le plus loin possible. De là à dire que cette session des Vendredis du vin tombe à pic...
- Roussette de Savoie Marestel 1987, domaine Dupasquier: celui-là, ce n'est pas un vin de Bordeaux, tout le monde aura rectifié de lui-même. Cette bouteille, gentiment cédée par Noël Dupasquier lors d'un passage, déjà lointain, au domaine, a patiemment attendu son heure. Son altesse la roussette de Savoie supporte en principe aisément le poids des ans. Le nez est très intense, marqué par des notes d'écorce d'orange et de cire. En bouche, si on sent encore bien une certaine vivacité, la structure parait un peu décharnée et commence à peiner sur la longueur. La finale est marquée par une légère amertume qui laisse peut-être un poil amer d'avoir attendu cette bouteille un peu trop longtemps.
- Château Mouton-Rotschild 1987, Pauillac: avec celui-ci, on est bien à Bordeaux, nageant dans le stupre et le lucre. Dernière vendange du Baron Philippe de Rotschild, étiquette signée Hans Erni, l'une des dernières œuvres de ce peintre suisse renommé, dernier exemplaire issu de ma cave. Tout a une fin, sauf ce Mouton, loin d'être fini. La bouteille oui, qui n'a pas fait trop long feu, l'exemple même d'un beau Pauillac à maturité, malgré la petitesse du millésime. Arômes tertiaires, un peu sous-bois et humus, notes de fumée et de bois noble. Tanins souples et fondus, élégants et harmonieux, beaucoup de finesse, de classe et surtout un grand plaisir en bouche. À des lieues du caractère austère et malengroin du millésime 1988, dernière expérience plutôt malheureuse et déplaisante vécue avec Mouton.
- Château Lafite-Rotschild 1994, Pauillac: après une première bouteille de ce lot, désespérément bouchonnée il y a une dizaine d'années, l'heure de la revanche allait-elle sonner pour cet autre cru fétiche pauillacais? 1994, millésime difficile, qui a conduit Lafite à ne garder que le cabernet-sauvignon pour sa grande cuvée. Plutôt corpulent, le vin se pare d'une relative austérité à l'ouverture de la bouteille mais les tanins ne sont pas revêches. De la finesse et une grande droiture le rendent plutôt séduisants sans son genre. Long et élégant, il n'est pas pour autant guindé et se laisse plutôt bien approcher. On peut encore l'attendre, ou à défaut le vendre aux Chinois.
Olif