Aujourd’hui, depuis qu’elle existe, la machine à dématérialiser ne me fait plus rire du tout. Mais alors vraiment plus du tout.
C’est L’Hebdo du 31 janvier dernier qui m’a révélé l’existence de Caren, une «interface web socialement intelligente, très réaliste et vraiment interactive» inventée par un certain Umberto Basso. Cette chose est destinée à remplacer l’humain sur le Web et ailleurs, notamment sur les hotlines des services clients parce que, comme l’annonce Andrew McInnes de la société H-Care :
Aujourd’hui, les entreprises de services cherchent à dématérialiser leurs services clients, car ils génèrent des coûts démesurés.
Dématérialiser leurs services clients … En clair, virer la femme ou l’homme qui bosse pour vivre, pour le remplacer par une machine qui bosse pour rien, enfin presque.
On connaissait depuis longtemps «l’argent qui travaille tout seul», maintenant ces désaxés nous servent sur un plateau le travailleur qui travaille pour rien et à chaque seconde qui passe.
Et attention, selon l’article, il ne s’agit pas d’un simple répondeur téléphonique sophistiqué. Il s’agit d’une véritable machine intelligent, issue des meilleures études en cybernétique, qui serait capable de vous annoncer les bonnes et les mauvaises nouvelles, de vous informer, de vous entendre, de vous comprendre et peut-être même de vous enseigner.
La chose a en plus un visage. Et pas n’importe lequel. Un visage inspiré de celui d’une actrice avec un grain de peau idéal obtenu par «photoshopisation». Caren a le visage de la vainqueresse, mais surtout pas celui de ma voisine du quatrième, même si elle est, paraît-il, capable d’exprimer la tristesse, la joie ou la colère.
Caren est potentiellement capable de tout : informer, orienter, vendre. Elle serait même capable de vous annoncer vos résultats d’analyses médicales en «souriant, mais pas trop sous peine d’en devenir moins rassurante».
Quelle horreur cette Caren. Je me vois déjà, scrutant avec anxiété l’écran de mon Mac, cherchant vainement le moindre signe sur la peau lisse de Caren, attendant le verdict :
Monsieur Hubler, je suis désolée, vous avez un cancer du poumon.
Je vais vous mettre en contact avec Ulrich notre cyberoncologue qui va vous prendre en charge.
Caren, tu me glace le sang, tu es froide comme la mort.