Magazine Ebusiness
Quand le Président Nicolas Sarkozy, lors de l’ouverture du eG8, évoque les 3 mondialisations, en faisant référence à Colomb, Galilée, Newton, Edison, il indique fort justement que la révolution Internet n’appartient à personne, mais qu’elle a bouleversé notre rapport au temps, notre perception historique et l’image que nous nous faisons du monde. Bien que je partage ce point de vue, il me semble qu’au-delà des usages, cette révolution qui fait d’Internet le fondement principal de la connaissance et de l’économie dans le monde, provient avant tout d’une profonde transformation de l’usage du Mot.Avec Gutenberg et l’alphabet imprimé, la représentation spatiale du langage a façonné pendant 6 siècles notre conscience et notre vision du monde. L’alphabet imprimé a forgé dès le XVème siècle notre perspective et notre façon de penser. En découlent la suprématie du rationnel et du visuel, la segmentation des actions, l’automatisation, le capitalisme et le nationalisme, l’uniformisation de la culture et l’aliénation de l’individu.Or, comme dans un laboratoire, je l’observe quotidiennement dans notre business : la suprématie du Mot s’effrite, la part du sémantique disparait peu à peu (ce qui est appelé le « web sémantique » n’est pas en contradiction avec cela, au contraire), pour laisser davantage de place à la navigation digitale (John Donahoe, Président et CEO de Ebay Inc., faisait allusion lors du eG8 à cette enfant de 3 ans qui pensait que la télévision était cassée car elle ne réagissait pas à la navigation digitale, comme son iPad …). La recherche par forme ou par couleur prend de l’importance, Dailymotion en est devenu le moteur leader. La reconnaissance vocale et la reconnaissance gestuelle de type Kinect de Microsoft, arrivent à grands pas. La géolocalisation met à l’honneur les données cartographiques et limite aussi l’usage de l’écrit. Les enfants désapprennent à écrire, l’alphabet imprimé perd clairement de sa suprématie et avec lui, c’est notre perspective et notre conscience qui se transforment.Comment ?Lorsque Sheryl Sandberg présente Facebook, de quoi parle-t-elle ? Elle parle de communautés reliées entre elles. Elle parle du fait que la recherche d’informations (« information retrieval ») laisse sa place à la découverte sociale (« social discovery »).Je le constate également dans le secteur du e-commerce : les internautes naviguent de plus en plus sur les réseaux sociaux. Ce que je constate surtout, c’est que dans le commerce connecté, les avis des autres influencent plus que tout le consommateur. Je constate également à quel point ce changement impacte l’organisation sociale : il affecte l’organisation dans l’entreprise, j’y travaille au quotidien avec mes clients. Par ailleurs, les nombreux exemples puisés au cours de cet eG8 dans l’actualité du monde arabe, montrent à quel point l’organisation sociale et politique du monde est, elle aussi, affectée.C’est pourquoi je ne peux être d’accord avec le professeur d’Harvard Lawrence Lessig (le terriblement ennuyeux John Gapper et lui ont malheureusement du perdre un peu de sens dans la traduction), qui indique que Nicolas Sarkozy est passé à côté du point « Do No Harm ». Pour ma part, je ne crois pas qu’il soit passé à côté, bien au contraire. Il comprend bien que ce qui se profile est l’avènement du « Global Village » (expression de McLuhan), avec la menace qu’il représente pour les gouvernements, pour la démocratie, pour la liberté, la sécurité, l’équité telles que nous les connaissons aujourd’hui.J’observe à l’œuvre les effets bouleversants de l’Internet de ce point de vue : accélération, incertitudes, organisations en perpétuelle réinvention et sans cesse inadaptées … et formidable croissance du Commerce Connecté.Comment ne pas comprendre alors le discours de Nicolas Sarkozy, l’urgence selon lui de réguler Internet, de le contrôler ?Klaus Schwab, l’organisateur du sommet de Davos, indique fort justement qu’Internet est bien davantage qu’un outil, c’est une nouvelle façon de vivre (« a new way of life »). Bien sûr, il a raison. Mais j’irai même encore plus loin : la révolution est en marche, elle est inéluctable, parce qu’elle se situe dans la façon dont notre mode de représentation – fondé jusqu’à présent sur l’alphabet imprimé – se transforme. Que l’on y adhère ou pas, le changement de technologie transforme notre conscience et nous pousse vers une nouvelle forme d’organisation, au travers d’un nouveau rapport à l’information.Nicolas Sarkozy s’étonne du fait que cette révolution soit sans drapeau : bien sûr qu’elle l’est !Pourquoi ? Parce qu’elle exprime l’avènement de la communauté, de la collectivité, du monde tribal, de ce village global dont le système nerveux est l’Internet et qui est fondé sur l’interdépendance, la coexistence et l’unité. Comme l’a dit Mark Zuckerberg, PDG-fondateur de Facebook, Internet, c’est avant tout la capacité à se joindre et à partager dans le monde entier. C’est sur cette idée qu’il a fondé Facebook mais en y ajoutant deux ingrédients majeurs : la technologie et la psychologie, ses deux majeures à l’Université. Le résultat est le "Social design" qui fait aujourd’hui la vraie différence de Facebook. La tendance d’aujourd’hui et de demain est de former une grande communauté. Le mouvement a ainsi démarré dans le cercle familial, puis englobé la sphère du business, et commence à atteindre le monde et les gouvernements.Dans ce cadre, le drapeau est le symbole de l’ancien monde construit autour du concept de « nation » et fondé sur le principe de l’analyse, le monde de la fragmentation de la psyché (le message), créé sur la base de la culture écrite imprimée (le medium), qui a forgé notre conscience depuis 6 siècles, en opposition désormais à une grande communauté globale.Cette révolution qui estompe les frontières locales au profit d’un monde globalisé touche évidemment fortement le monde économique. Hiroshi Mikitani, de Rakuten, exprime précisément ce contraste entre le marché très domestique et traditionnel japonais, face à la globalisation de Rakuten. Xavier Niel, fondateur d’Illiad, et Niklas Zennström, fondateur de Skype, ont exprimé cette phénoménale transformation, où les acteurs qui restent régionaux sont les perdants.McLuhan aurait sans doute appelé ce forum « electrified G8 ». Ce qu’il dit en fait, c’est que l’effet cognitif de la technologie induit un changement de perspective dans la conscience des hommes : parce que la technologie change, notre perspective aussi. Je rejoins le fondateur de Facebook quand il évoque l’anxiété des acteurs économiques et politiques face à ces phénomènes. En effet, les implications sur notre organisation du monde seront bouleversantes et terrorisent nos gouvernements, peut-être à raison, car sommes-nous bien préparés à cette unité universelle où chaque événement affecte l’ensemble de l’humanité à tout moment ?Et lorsque Maurice Levy demande à Mark Zuckerberg : « quel est le message que vous allez passer aux chefs d’Etat du G8 », ma réponse serait empruntée à McLuhan : le message, c’est le medium !