Il est de bon ton, comme il est de bon ton d’acheter, de lire et de vanter
les mérites du petit opuscule de Hessel qui fait un tabac dans le monde
entier.
S’indigner, c’est dans tous les cas exprimer une protestation, un refus, une
colère devant une situation considérée, souvent à raison, comme inacceptable
!
En cela, parce qu’elle constitue une manière de dire à voix haute ce que
l’on a sur le cœur, l’indignation est salutaire sinon indispensable.
Pour autant, toutes les indignations ne se valent pas, et les indignés n’ont
pas tous les mêmes mérites.
Bien évidemment, entre un Syrien qui manifeste contre le régime autoritaire
de Bachar el-Assad, au risque de se faire tabasser, emprisonner voire occire,
et un espagnol qui proteste contre le chômage des jeunes ou plus généralement
contre les effets de la crise, au risque de ….euh….….salir son froc en
s’asseyant par terre, il y a un gouffre !
Cela ne veut pas dire, que les jeunes espagnols n’ont pas le droit de
manifester leur mécontentement, mais faire l’amalgame entre ces 2 indignations
est malhonnête sinon indécent !
S’indigner ne peut pas suffire, on ne peut pas se contenter d’un acte de
protestation, quelle que soit la validité de cette protestation, si derrière la
contestation il n’y a pas la proposition, l’indignation ne peut-être que
stérile et faire le jeu des protestataires professionnels qui auront vite fait
de la récupérer.
Les Syriens, les Libyens qui manifestent, comme avant eux les Tunisiens et
les Egyptiens, le font pour renverser un régime despotique afin de lui
substituer une démocratie. Les espagnols qui manifestent leur légitime
mécontentement, le font pour contester leur démocratie.
En accusant la classe politique dans son ensemble de ne pas se préoccuper de
leur sort et d’être incapable de régler les problèmes du pays, les jeunes
espagnols remettent en cause leurs élites dans une sorte d’idéalisation d’une
démocratie qui fonctionnerait par le peuple et uniquement avec le peuple sans
s’embarrasser de représentants nécessairement dévoyés !
Même si, elle s’est faite dans la joie et la bonne humeur, cette indignation
ne constitue qu’une expression contestataire non constructive.
S’indigner contre un chômage des jeunes à 45% est sain, mais le mettre sur
le dos d’un système démocratique défaillant qui produit des gouvernants
forcément incapables et/ou malhonnêtes, n’est qu’une réponse facile, simpliste
et injuste au problème….mais évidemment, beaucoup plus mobilisatrice que
d'invoquer les véritables causes de la situation !
D‘une manière générale, dans une démocratie, clamer son indignation n’est ni
dangereux, ni difficile, les Besancenot et autres Mélenchon en ont fait leur
fond de commerce et que je sache ils n’ont jamais été tabassés ou mis en tôle
pour cela.
C’est d’autant plus facile que les bonnes ou les mauvaises raisons de
s’indigner ne manquent pas dans notre monde abominable ou la vilénie règne en
maitresse : le chômage, la baisse du pouvoir d’achat, la guerre en
Afghanistan, les renvois d’immigrés dans leurs pays, les sans-logis, les trains
qui arrivent en retard, les impôts excessifs, les colonisations d’Israël,
l’enlèvement des panneaux annonçant les radars, la retraite à 62 ans, les
élevages de porcs en batterie, le nucléaire, le chômage des jeunes, le chômage
des vieux, les algues vertes, la suppression de postes dans l’Education
Nationale…enfin bref, tout le monde a largement de quoi écrire un bouquin de 32
pages pour exprimer son indignation !
L’indignation a le grand mérite de se donner bonne conscience à peu de
frais. Elle permet de se convaincre que l’on œuvre pour le bien public, ou
mieux encore d’en persuader les autres. Des artistes en manque de notoriété
l’ont bien compris, qui en usent et en abusent.
Il serait temps de considérer, la vague d’indignationite aigue qui commence
à sévir un peu partout avec ce bon Monsieur Hessel comme navire amiral, pour ce
qu’elle est, c'est-à-dire un mouvement qui faute d’être autre chose qu’une
contestation simpliste et pleine de bons sentiments, ne peut –être que stérile
et une porte ouverte à toutes les récupérations populistes.