Vingt et quatre blogueurs ont publié une lettre [1] à destination des responsables de la gauche…
Considérant que Nicolas Sarkozy est « un redoutable adversaire en campagne électorale » et que Marine Le Pen « sera vraisemblablement au second tour », ils invitent les partis de gauche à « dépasser [leurs] clivages et les rivalités d’appareils » afin « de travailler ensemble à une plateforme commune et à la désignation d’un candidat unique pour toute la gauche »… Initiative qu’on pourrait saluer, qualifier un peu hâtivement de sympathique – voire de : naïve – mais qui, surtout, à la réflexion, fait fi d’une réalité électorale, structurelle, propre à la présidentielle.
C’est fantastique ! Je signe tout de suite. Pour cette victoire virtuelle. Ce conte de fées. Ce scénario angélique. Et comme ce serait chouette, non ? De voir, unis, bras dessus, bras dessous, le PS, le Front de Gauche, les Verts, le NPA, Lutte Ouvrière et le Schivardi de l’année, s'en aller défier le Sarkozy et la frontiste, scandant à tue-tête :
« Tous ensemble ! Tous ensemble ! Ouais ! ».
Mais, allez savoir pourquoi, le refrain qui me vient direct au ciboulot, serait plutôt :
« Voici venu le temps des rires et des chants/Dans l'île aux enfants/C'est tous les jours le printemps/C'est le pays joyeux des enfants heureux... ».
Nonobstant le fait que cet appel sent la pétoche à plein nez, celle de voir le candidat du PS se ramasser dans les grandes largeurs dès le premier tour (se « jospiner » en quelque sorte), un traczir semblant trouver sa source dans le fait que Marine Le Pen « sera vraisemblablement au second tour » - mais j’y reviendrai – il pose tout de même un énorme problème qu’est celui du second tour.
En effet, si nous avons un candidat unique représentant TOUTE la gauche pour cette présidentielle 2012, où va-t-il, ce malheureux, trouver d’autres voix pour l’emporter au second ?
Sont-ce les électeurs pénistes qui par haine délirante de Sarkozy, vont d’un seul homme, reporter leurs suffrages du premier tour sur sa brave personne unifiée ? Sont-ce les falots Centristes ? Les chasseurs et autres pêcheurs ? Les souverainistes de sieur Dupont-Aignan ? Croyez-vous ?
Alors on me dit les Centristes. A priori... Ne furent-ils pas 40% à se tourner vers Ségolène Royal au second tour de la 2007 (et autant vers Sarkozy : match nul, donc) ?
Certes. Mais :
1 – Ce ne fut pas suffisant.
2 – Le candidat de TOUTE la gauche rassemblera beaucoup moins de voix centristes que Ségolène Royal au second tour, car justement, il représentera TOUTE la gauche : Verts, mais surtout Front de Gauche (avec des communistes dedans), NPA, LO, notre Schivardi de l’année, soit des sensibilités qui rebutent notre centriste de base, tant on ne lui connaît pas des affinités trotskistes, pas même marxistes.
Bref, en un mot, comme en cent, où sont les réserves de voix, pour faire la différence au second tour ?
Car, voyez-vous, et quand bien même une présidentielle à seize candidats tiendrait plus du folklore que de la démocratie, la multiplication des candidatures, aussi bien à droite, qu’à gauche, permet aux deux qualifiés pour le second tour, d’aller « puiser » dans les voix des éliminés du premier. C’est d’ailleurs une des raisons poussant certains observateurs – et comme ils sont nombreux, itou – à nous assurer que la frontiste ne peut pas gagner la présidentielle, vu qu’elle est toute seule. Quelque part, elle représenterait une sorte de candidature unique (en son genre).
Alors, à moins que notre Casimir, alias le candidat unique de TOUTE la gauche, ne l’emporte dès le premier tour, je ne vois pas COMMENT sans réserve de voix, il peut battre Sarkozy au second.
A moins que, TADAAAAAM ! nous vivions un « 21-avril à l’envers », soit un duel Gauche/FN, et là, nous sommes d’accord, peu nous chaut alors les réserves de voix.
Sacré pari, cependant (Patrick Buisson, conseiller de sa Majesté sarkozoïde, ferait – dit-on – le même, mais dans l’autre sens...) !
Sacré pari, car rappelons que nos blogueurs rappellent – à juste titre – que Nicolas Sarkozy est « un redoutable adversaire en campagne électorale ». Ce qui est vrai. Et un « futur papa » qui le fera savoir, fort habilement, de surcroît. Sans oublier cette « affaire DSK » qu’il n’omettra pas de remettre au premier plan… De fait, le « 21-avril à l’envers », je n’y compterais pas trop.
Alors quoi ? Marine Le Pen. C’est elle qui (leur) ferait peur ?
C’est elle, oui, puisque nos aimables blogueurs nous disent, qu’elle « sera vraisemblablement au second tour ». Alors éliminons cette vraisemblablitude par une candidature unique ! Génial, non ?
Mais, qui nous dit qu’elle « sera vraisemblablement au second tour », sinon... certains sondages ? Ces sondages que nos mêmes blogueurs, dans la même lettre, qualifient de « volatiles » et de « pas fiables ». Ou quasi. Faudrait savoir !
La peur est bien mauvaise conseillère, tout comme les sondages quand on a trop les yeux rivés dessus.
Je passe, bien évidemment, sur l’invraisemblablitude d’une telle union. Juste dire, tout de même, que si elle n’est pas possible, ce n’est pas (seulement) en raison des « clivages » ou des « rivalités d’appareils » c’est aussi parce que nous avons (pour faire très court) d’un côté une sorte de libéralisme de gauche, une inscription assumée dans le « système », et de l’autre, un socialisme véritable. Et il est primordial que ces deux logiques, ces deux programmes, soient proposés aux électeurs de ce pays.
On peut espérer, bien sûr, je le comprends, qu’il n’y ait pas, comme en 2002, trop de candidats à gauche. Ceci étant, Jospin avait considérablement raté sa campagne et il est, en grande partie, responsable de son échec. Ce n’est pas Chevènement, Taubira, Laguiller, Mamère, Besancenot, Hue et Gluckstein qui ont directement « éliminé » Jospin. Ce sont les électeurs.
En démocratie, la moindre des choses, c’est que l’électeur puisse s’exprimer. Faire un choix. D’autant plus lors d’une présidentielle à deux tours et au scrutin majoritaire... Priver l’électeur de ce choix, l’amputer d’une certaine façon, aux prétextes que les autres compétiteurs sont « redoutables » ou seront « vraisemblablement au second tour » n’est pas anti-démocratique, non, c’est juste la manifestation d’une peur, et aussi, d’une envie de gagner à tout prix… A tout prix !
Cela relève de l'aveuglement. Et d’une méconnaissance des mécaniques d’une telle élection. Qui fonctionne sur deux tours. Et non pas sur un.
Le dernier qui pensait qu’une candidature unique serait extraordinaire, un formidable signal envoyé au français, à ce point que ledit candidat unique, disait-il, pourrait être élu dès le premier tour, c’était : Nicolas Sarkozy... Son candidat : Balladur. Qui sera balayé au premier tour... Certes, il ne fut pas « unique ». Mais il n’en reste pas moins que, quand on connaît le paysage politique (plutôt droitier) de notre pays, parier sur une candidature unique de TOUTE la gauche, c’est assurément perdre en 2012. Car sans réserve de voix, tu t’arrêtes là... Ah, t’auras fait un super premier tour, mais le vainqueur dans cette configuration, c’est : Nicolas Sarkozy. Cinq ans de plus, et les doigts dans le nez ! Ah, comme on est loin du « pays joyeux » des blogueurs de « gauche »…