Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Je m’étais pourtant bien juré de ne pas reparler de l’affaire Strauss-Khan, mais il ne faut jamais dire « fontaine, je ne boirai pas de ton eau », d’autant que j’ai remarqué, autour de moi, un dommage collatéral de cette affait qui me semble révélateur de l’état actuel de notre démocratie.
Je m’explique : depuis le début de cette affaire, il ne s’est quasiment pas écoulé un seul jour sans qu’une personne qui compte parmi mes connaissances et qui se revendique, politiquement parlant, de gauche, ne m’ait fait part de ses regrets suite au fait que Dominique Strauss-Khan ne pourra pas être le candidat du parti socialiste aux prochaines élections présidentielles. Vous me direz qu’après tout, ce n’est pas si étonnant : j’ai souvent fustigé les sondages qui donnaient l’ancien maire de Nanterre gagnant dans tous les cas de figure, mais après tout, ils n’étaient pas forcément tous infondés, peut-être y avait-il un réel consensus autour de D.S.-K. D’accord, d’accord…mais un consensus ne se bâtit pas sur du néant, il devait bien y avoir une raison à ça. Et c’est justement là que le bât blesse !
En effet, quand mes relations me font part de leurs regrets, ils formulent généralement la chose ainsi : « j’aurais voté Strauss-Khan parce que c’était lui qui avait le plus de chances d’être élu ». Il n’y a pas quelque chose qui vous choque dans cet énoncé ? Non ? Ben laissez-moi vous dire que vous n’êtes pas très observateur ! Réfléchissez avec la tête : si un candidat à une élection quelconque a plus de chance d’être élu que les autres, en général, et abstraction faite de son talent et de ses compétences, c’est pourquoi ? Parce que les gens veulent voter pour lui, d’accord ? Bon, retenez donc bien cette équation : x a le plus de chance d’être élu = les gens veulent voter pour x. Maintenant, reprenez l’énoncé mis entre guillemets au début de ce paragraphe et remplacez la proposition qui ressemble le plus à l’un des deux termes de cette équation par ledit terme ; qu’obtenez-vous ? « J’aurais voté Strauss-Khan parce que les gens voulaient voter pour lui. » Vous comprenez maintenant ? Eeeeet oui ! Celui qui dit qu’il aurait voté Strauss-Khan « parce que c’est lui qui avait le plus de chances d’être élu » ne fait rien d’autre que reconnaître qu’il veut faire comme tout le monde ! C’est du conformisme avoué ! Et je vous l’ai dit, ce n’est pas le fait d’un seul clampin : apparemment, il y a vraiment beaucoup de personnes qui raisonnent comme ça, et je peux attester que certaines d’entre elles sont tout ce qu’il y a de plus éclairées !
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Nous touchons ici à un mal qui affecte beaucoup notre démocratie : nous n’osons plus faire nos choix électoraux en fonction de ce que nous penons vraiment ; nous bâtissons de toute pièce une majorité métaphysique dont les différents avis, les divers revirements, sont supposés être faciles à anticiper, et nous calons nos choix de vote là-dessus ! En clair, aujourd’hui, nous sommes peut-être plusieurs milliers à nous dire, au moment de mettre notre bulletin dans l’urne, « je n’ai aucune envie que ce connard soit élu, mais je vote quand même pour lui parce que, comme tous ces connards vont voter pour lui, c’est lui qui va tout de même gagner, alors… » – tiens, c’est une bonne idée de dessin, ça, je vais y penser ! Je suis persuadé que la victoire de Sarkozy il y a quatre ans doit beaucoup à cette attitude qui est un corollaire direct de la constitution de la société de masse, au sein de laquelle les avis qui diffèrent de ceux de la majorité ne sont tolérés qu’avec peine, ce qui est évidemment un grave recul démocratique – je vous invite à lire la Condition de l’homme moderne d’Hannah Arendt où c’est merveilleusement expliqué. Cette attitude est d’autant plus fâcheuse qu’elle n’est pas sans être teintée d’un certain complexe de supériorité de l’individu puisqu’elle attribue à autrui une manière de raisonner que l’on suppose, sinon moins intelligente, en tout cas moins réfléchie que celle qui est la nôtre ; un exemple concret : ne vous est-il jamais arrivé de dire, prenant pour exemple la défaite de Ségolène Royal, que « les Français ne sont pas disposés à voter pour une femme » alors même que près de la moitié du corps électoral (dix-sept millions de suffrages exprimés, quand même !) vous prouvait le contraire ? Il faudrait faire une enquête d’opinion où l’on poserait deux questions : « pensez-vous que les Français sont disposés à voter pour une femme ? » et « êtes-vous disposé à voter pour une femme ? » ; je suis à peu près certain, au risque de tomber dans l’écueil que je dénonce, que 70% répondraient « non » à la première et que… 7% répondraient « oui » à la seconde. Une telle vision de nos compatriotes serait plutôt amusante si elle n’avait une influence directe sur notre vote ! Non contents de prendre les gens pour des cons, nous calons nos choix sur les avis que nous leur attribuons sans pour autant les considérer comme plus pertinents… Curieux, non ?
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Enfin, il se peut que je me trompe : il parait que quand on est dans la crotte, on dépasse le stade du vote esthétique et que l’on va directement à l’essentiel ; donc, peut-être ces considérations ne vous concernent-elles déjà plus, si tant est qu’elles vous aient jamais concernées. Peut-être êtes-vous un vrai démocrate qui saisit le vote comme une opportunité pour donner son avis et non comme une occasion de faire valoir sa conformité à l’avis que vous attribuez aux autres ; il se peut aussi que vous ne considériez pas chacun de vos compatriotes comme une sorte de machine automatique dont on peut orienter le vote en appuyant simplement sur un bouton, comme le suggèrent certains éditorialistes castrateurs qui partent du principe qu’un tel va forcément voter ci parce qu’il est ça. Si vous êtes comme ça, j’ose espérer que vous n’êtes pas le seul… Allez, kenavo !