Internet, le réseau des réseaux issu d’un concept militaire américain pour un réseau de communication redondant, rendu navigable dès 1990 par Tim Berners-Lee au sein du CERN. Vingt ans plus tard Internet est passé du domaine du geek au “web 2.0″ interactif et social, tissant une toile planétaire dont l’accès est plus ou moins libre selon les pays, et de plus en plus dominé par des intérêts commerciaux.
Dans tout esprit gouvernemental ou technocratique, tout ce qui n’est pas suffisamment contrôlé est dangereux et certains dictateurs nord-africains en ont récemment fait la douloureuse expérience. D’où l’urgence pour les Sarkozys de ce monde de siffler la fin de la récréation et mettre tout cela en coupe réglée avant que cela ne fasse déborder le jacuzzi. Mais avec quelles armes obliger Internet à se “civiliser” et devenir une vaste entreprise de cirage de pompes?
Il y a en fait deux grands axes d’attaque: d’une part l’axe législatif / policier incarné en France par Hadopi et LOPPSI, ayant pour prétexte une conception complètement dépassée et truffée d’intérêts particuliers de la propriété intellectuelle (j’invite à lire ce billet et l’exercice de démontage du concept par Albert Jacquard). D’autre part l’axe de l’autogestion par les porteurs d’intérêts économiques, autre fausse idée issue du mythe du “marché libre et efficace”. Une telle gestion favorisera évidemment un Internet “TF1″ plutôt qu’une agora indisciplinée et revendicatrice.
Le e-G8 qui s’est tenu ces 24 et 25 mai à Paris à l’initiative de Sarkozy, est une grande manœuvre de communication politique: d’abord un discours lénifiant sur les vertus d’Internet dans lequel on fait entrer par la petite porte la “responsabilité gouvernementale”: Nous devons accompagner une révolution qui est née au cœur de la société civile pour la société civile et qui a un impact direct sur la vie des Etats. Et sur la survie des chefs d’Etats, certes.
Un peu plus bas: Il s’agissait aussi pour les États que nous représentons de signifier que l’univers que vous représentez n’est pas un univers parallèle, affranchi des règles du droit, de la morale et plus généralement de tous les principes fondamentaux qui gouvernent la vie sociale dans les pays démocratiques. Là ça se précise: les représentants des Etats dont parle Sarkozy (les plus puissants) sont déjà affranchi des règles du droit, de la morale et des principes fondamentaux de la vie sociale: ce sont eux, et non pas Internet, qui déclarent des guerres insensées dont les populations civiles font les frais, promulguent des lois liberticides à chaque fait divers, ne respectent pas les droits humains les plus élémentaires au sein de leurs propres institutions (gardes à vue abusives, chasse aux sans papiers, etc…), ouvrent les portes au lobbyistes en tous genres qui corrompent à leur profit les services de l’Etat (Vaccins H1N1, Servier…), renflouent les prédateurs de la haute finance avec l’argent public et entretiennent la peur du terrorisme pour justifier les tours de vis sécuritaires.
Internet permet, parfois du moins, d’éclairer ces agissements et de les rendre visibles à un large public. Internet permet de créer des dynamiques qui peuvent renverser des régimes policiers en quelques jours. Internet permet de remettre en question nombre de “vérités officielles” qui ne tiennent que par force de répétition. Internet modifie le mode de consommation dans un sens qui ne bénéficie pas aux oligopoles traditionnelles, proche de l’argent et du pouvoir. Il faut donc “civiliser” Internet. D’urgence.
Et enfin: …ce serait aussi une contradiction que de vouloir écarter les Gouvernements de cet immense forum. Personne ne peut ni ne doit oublier que ces gouvernement sont dans nos démocraties, les seuls représentants légitimes de la volonté générale. Tiens donc. Et la société civile, elle n’est pas légitime? Qui, des gouvernements ou de la société civile, représente réellement la volonté générale?
La société civile tente bien sur de répondre à cette manipulation, comme on peut par exemple le voir dans la vidéo ci-dessous, une conférence de presse organisée au e-G8 par des militants de la liberté d’Internet, notamment Jérémie Zimmermann (la Quadrature du Net). C’est essentiellement en anglais mais Jean-François Julliard (directeur de Reporter sans Frontières) s’exprime en français à partie de la 5eme minute. L’intervenant suivant, Lawrence Lessig (fondateur du Creative Commons et professeur de droit à Harvard), critique de manière ironique le fait que Paris utilise aujourd’hui des arguments très américains mais néanmoins caducs: un service public est mieux géré par une oligopole privée que par l’Etat.
[EN] La société civile s’en va t’en guerre à l’ e-G8 from OWNI on Vimeo.
Le combat continue…
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