Nous avions donc commencé avec la série sur la relation employeur/employé. Notre postulat théorique est que la relation employeur/employé dans les petites organisations en Afrique est surtout structurée dans une dialectique patron/autres. Nous allons voir dans ce second article comment cela est organisé.
La première chose que l’on note dans les petites organisations en Afrique, c’est que le processus hiérarchique procède plus d’un primat structurel où chaque employé est en relation non pas avec une compétence au dessus, mais avec UN patron. L’employé doit avoir son patron, entrer dans la notion de patron, faire du patron une réalité tandis que l’employeur doit faire de l’employé SON employé. Bref, la vie en organisation commence dès lors qu’il y a un patron et un employé.
Les premières semaines de travail sont donc prioritairement organisées autour de l »établissement de ce primat. Elles sont avant tout la mise en relation des sujets individuels en face des deux concepts de base qui vont soutendre les relations employeur/employé dans l’organisation. L’employé va donc être confronté à des situations qui au delà de l’introduire dans l’organisation, vont d’abord l’introduire au patron. Le sentiment d’avoir un patron sera une donnée organisationnelle fondamentale. Il sera premier avant celui d’appartenance à l’organisation…En fait, il sera une condition pour le sentiment d’appartenance à l’organisation. Il en va de même pour l’employeur pour qui le sentiment d’avoir un employé sera plus déterminant que tout. L’employé ne fera partie de l’équipe qu’une fois apprivoisé comme son employé…les regards sur l’efficacité, l’intégration, les capacités in situs, tout cela entre en compte APRES que l’employé ait été intégré par l’employeur comme étant SON employé.
Si vous prenez donc le temps d’observer une petite organisation, vous vous rendrez compte que l’employeur et les employés commencent par élaguer cette question : Je suis ton patron…Je suis ton employé. Ce n’est qu’une fois que ce point est clair, que les autres processus liés à la dynamique de travail et de l’organisation prennent sens.
Dit ainsi, il me semble important d’insister sur la notion de patron afin de mettre en évidence la nuance que je souhaite apporter.
Reconnaître l’autre comme patron ou comme employé n’est pas ni anodin, ni une chose banale. Il ne s’agit pas du positionnement dans la chaine de la hiérarchie de l’organisation. Le patron n’est pas un niveau hiérarchique dans le sens technique du terme, l’employé non plus. La hiérarchie a avoir avec la place de chacun avec le travail et l’incidence de cette place dans les diverses interactions FONCTIONNELLES de ceux qui occupent ces places. La hiérarchie est un concept objectif, il n’est pas lié à la représentation. On peut par exemple être le patron d’une entreprise et être à un niveau de hiérarchie inférieur ou au même niveau hiérarchique que ses collaborateurs(c’est assez exceptionnel, c’est vrai). Mais c’est pour illustrer que la hiérarchie est véritablement un concept fonctionnel et dynamique.
La question de patron et employé n’est pas non plus une question de pouvoir…si la question du pouvoir est déterminante dans cette relation, elle n’en est pas le principal enjeu. Le pouvoir en organisation vise fondamental à organiser le rapport de force. L’enjeu du pouvoir en organisation est la décision et qui l’influence. Le pouvoir en organisation n’est pas une simple expression du moi, elle est surtout l’expression de la détention de la décision.
La relation patron employé est plus complexe que la hiérarchie ou le pouvoir. Elle est aussi dans une certaine mesure un peu plus simple. La relation patron/employé est avant tout l’affirmation d’un statut social dans une démarche d’appropriation et de conservation.
Le patron en se présentant comme tel, affirme certes le pouvoir. Il affirme certes la hiérarchie. Mais il s’agit des prétextes pour affirmer quelque chose de plus profond chez l’individu. Le patron est le moi devenu quelque chose de valorisé aux yeux de l’autre. Le patron est l’expression d’une nouvelle valeur sociale que le moi a acquis du simple fait d’avoir eu un pouvoir. L’employé est le symbole de cette valeur. AVOIR un employé…est la preuve d’être patron. C’est la preuve de mon statut social différent, de ma valeur dans la société. L’organisation devient alors le moyen d’acquérir cette valeur, de la construire, de l’affirmer et ensuite, le tremplin pour projeter mon moi réévalué à l’ensemble de la société. C’est le premier versant de cette relation.
La représentation du patron par l’autre individu est avant tout un prologue à sa propre situation de « patron ». C’est le moi patron, non encore existant, mais qui sera comme tel quand il sera. L’employé et l’employeur en établissant une relation patron/employé, voient donc chacun la même chose : eux-mêmes. L’employeur dans une perspective actuelle, l’employé dans une perspective future. C’est le même symbole valorisant, c’est le même sujet valorisé, mais dans des perspective différentes.
C’est donc ce qui justifie la reproduction systématique de cette relation dès qu’un nouveau contexte qui le permet est né. L’organisation donne juste l’espace à cette relation de changer de perspective et de s’exprimer. Mais la perspective est là, profondément ancrée dans les personnes. Elle est sujette à anxiété, mais nous verrons cela bien plus tard.
Nous continuerons cette série en nous intéressant à la naissance de la relation employeur/employé établie comme patron/employé dans les petites organisations et nous commencerons à voir comment nait la peur dans cette relation, nous rechercherons les expressions/manifestations concrètes de ce type de relations, nous analyserons leur signification professionnelle au delà du symbole individuelle et essayerons dans un dernier article, de comprendre comment cette relation de peur, peut passer à un statut différent et impacter sur le destin d’une petite organisation.