Hier soir j'étais invité à la première soirée des femmes leaders en Suisse. Le carton d'invitation comportait un titre volontiers provocateur, propre à rebuter aussi bien
des femmes que des hommes, Femmes, à quand la prise de pouvoir ?, illustré par la silhouette élancée d'une femme anonyme, à la démarche énergique, en costume de
cadre dynamique et au corsage bien féminin.
Cette soirée en mauve était suffisamment prometteuse pour que je fasse le voyage de Lausanne à Genève par une belle soirée
de printemps. En effet il y avait au menu des festivités un débat animé par Myret Zaki, rédactrice en chef adjointe de Bilan ici, suivi d'un cocktail dînatoire.
Devaient participer à ce débat sur les femmes et le leadership, organisé par Bilan, trois femmes leaders
: Monique Bourquin (CEO d’Unilever Suisse), Bénédicte Montant (fondatrice du cabinet d'architectes 3BM3) et
Stéphanie Pahud (linguiste, docteur es lettres, maître assistante à l'Université de Lausanne, et auteur d'un Petit traité de
désobéissance féministe).
L'assistance était composée de plusieurs centaines de femmes, de tous âges, de toutes tailles, de toutes couleurs de cheveux, de
toutes beautés, et d'une minorité "écrasée" d'hommes qui avaient oser s'aventurer en pareille compagnie féminine, tel votre serviteur, qui ne s'était jamais
trouvé, de mémoire d'homme, dans une telle situation, ma foi pas du tout désagréable.
Dans son aparté publié aujourd'hui dans Bilan ici, parlant de l'accès des femmes au leadership, Myret Zaki souligne que seule une minorité d'entre les hommes "trouve à ce jour son compte dans une telle évolution" et qu'"il demeure toujours une frange de la société affirmant que la place d'une femme
doit être aux fourneaux plutôt qu'aux commandes". Etait-ce des représentants de la minorité d'hommes évoquée qui étaient présents hier soir ?
Au-delà de leurs destins fort différents, une femme cadre de 45 ans, qui s'est montrée très supérieure, une autre du même âge farouchement indépendante, une universitaire de
34 ans, passionnée par ce qu'elle fait, une journaliste de 38 ans décomplexée, les trois mousquetaires en pantalon du débat de hier soir et leur modératrice en robe décolletée ont
des points communs.
Toutes quatre aiment ce qu'elles font, sont compétentes, ne cherchent pas à singer les hommes, sont elles-mêmes, sont éprises de
liberté et d'indépendance, mènent donc leurs vies comme elles l'entendent, quitte à en subir des dommages colatéraux, avérés au moins pour l'une d'elles. Elles sont authentiques et oublient
leur sexe pour exercer leur métier avec excellence.
Le mot pouvoir ne leur plaît pas. Elles préfèrent dire qu'elles assument des responsabilités. Elles n'ont pas spécialement
chercher à faire carrière. Elles ne sont pas parvenues au sommet par leurs réseaux, mais par la reconnaissance des autres, hommes ou femmes, pour le travail
qu'elles accomplissent. Elles ne m'ont apparu ni féministes ni anti-féministes, mais effectivement elles-mêmes.
Lors du débat la question du salaire ne s'est pas posée entre ces quatre femmes leaders. Elle l'a été par l'assistance. Car il
faut savoir qu'en moyenne les femmes en Suisse, à responsabilités égales, gagnent 20% de moins que les hommes. Seules 4% d'entre elles accèdent au top management des grandes entreprise et
elles sont moins de 7% à siéger dans les conseils d'administration.
Pendant le cocktail dînatoire, dans un salon panoramique de l'hôtel Kempinski, des cartes de visite
se sont échangées, tout en sirotant le champagne rosé Mademoiselle [sic], en dégustant des friandises et en savourant un risotto tout simplement
délicieux. Dans les conversations de ces dames revenaient en leitmotiv la question lancinante de comment accélérer l'égalité de situation des femmes et des hommes.
Pour cette accélération une majorité semblait se dégager pour demander que des lois soient votées pour lancer le processus.
L'homme que je suis, qui n'aime pas que les choses lui soient imposées, qui croit que le changement des mentalités, guidé par l'intérêt bien compris, est un moteur beaucoup plus puissant
pour changer les choses que n'importe quelle obligation, et qui pense que seul le mérite doit être récompensé, ne pouvait que se réjouir que Monique Bourquin
soit de cet avis.
Au fait, avait-on répondu à la question posée : Femmes, à quand la prise de pouvoir ? Certainement pas. Peut-être parce
que la place des femmes dans la société se pose en d'autres termes... du moins selon leurs propres dires.
Francis Richard