Naissance des Pieuvres, c’était la naissance d’une grande cinéaste. Cela émanait de chaque plan, de chaque douleur captée au vol, de chaque choix de mise en scène. Un talent que Céline Sciamma confirme avec ce Tomboy-ci, preuve qu’elle possède trois essentiels : le don de choisir des thématiques épineuses et risquées (la sexualité trouble des ados pour le premier, les problématiques de genres pour le second), le don d’en parler à hauteur de gamines, et d’une façon infiniment douce, cinématographiquement intense ; le don, enfin, de capturer le réel, sublimer le banal, toucher du doigt la parfaite justesse de la spontanéité. Son cinéma n’est pas truqué, trafiqué, intéressé. Au contraire, c’est un cinéma de chair qui souffre et de cœurs qui appellent à l’aide, parmi des monstres invisibles: regards d’autrui et conceptualisation systématique des émotions.
Avec Laure (Zoé Héran), qui se fait appeler Michael, qui ressemble à un petit garçon, qui est en fait une fille, qui tombe amoureuse d’une autre fille (Malonn Lévana) et qui parvient à berner tout le petit groupe de mecs de son quartier, elle ne pose pas de mots sur les maux, mais caresse un réalisme d’une puissance insoutenable. Il n’y a pas d’explications, pas de discours appuyés, simplement un regard sur l’instant, dans tout ce qu’il a de cruel, de désagréable, de définitif. Avec un naturel déconcertant, elle passe d’une chronique du quotidien à un suspense implacable, de vrai drame subi à jolie dédramatisation choisie. Des parents (formidables Jeanne Disson et Mathieu Demy) aux enfants, elle filme ces figures perdues avec une même tendresse, une même bienveillance, qui vaut tous les manifestes pro tolérance du monde.