Communiquer sur un livre papier est quelque chose de relativement simple. Choisissez habilement un texte, passez-lui un petit coup d’editing si nécessaire. Optez de préférence pour un texte facilement “marketable”. Mieux, visez une cible de lecteur bien particulière. Commandez quelques centaines d’affiches pour les arrêts de bus, quelques exemplaires pour le métro. La campagne online peut être utile, mais les sites spécialisés dans ce type d’actions ciblées manquent sur le web français. Le spot TV n’est pas indispensable ; difficile de cueillir le lecteur lorsque son attention est focalisée sur un autre média. Du coup, reposez-vous sur votre réseau de libraires, prescripteur de lecture essentiel dans l’écosystème du livre tel que nous le connaissons. Bien entendu, tout cela suppose d’avoir un budget communication un minimum fourni pour la sortie du bouquin, ce qui est loin d’être le cas de tous les ouvrages publiés chaque année.
Mais que vaut cette recette avec le passage au numérique ? Est-il plus pertinent d’effectuer une campagne publicitaire en ligne, ou bien de profiter des réseaux de blogueurs pour faire la promotion d’un ebook ? Alors que les libraires sont remplacés par des distributeurs s’épargnant du lourd travail (mais ô combien essentiel !) de prescription, les éditeurs perdent leurs repères. Et des lecteurs par la même occasion.
La librairie numérique, une vitrine à bestsellers
Il faut reconnaître qu’aujourd’hui, les distributeurs numériques qui viennent prendre la place des libraires vendent des ebooks comme s’il pouvait s’agir de MP3 ou d’autres médias dématérialisés. Pourtant, le livre numérique mériterait une attention toute particulière. Abandonné au milieu de multiples contenus toujours plus interactifs et de prix toujours plus bas — quand ils ne sont pas proposés gratuitement —, ce nouveau contexte chahute assez violemment la bonne vieille lecture. Aussi, comment attirer l’attention du lecteur dans une telle profusion de contenus ? Comment le convaincre d’acheter un ebook à plus de 10 euros, alors qu’une application s’échange pour seulement quelques euros ? Pour cela, les distributeurs numériques, en accord avec les éditeurs, disposent de plusieurs moyens pour communiquer sur leurs contenus.
Lorsqu’un lecteur souhaite lire un livre, la première étape (s’il ne se tourne pas vers l’offre pirate) sera de se rendre sur une boutique. En France, nous bénéficions désormais d’un certain nombre de librairies numérique, de l’iBookstore d’Apple à la FNAC, en passant par ePagine, Immatériel, Feedbooks ou Numilog. Cependant, ces différentes interfaces partagent à peu près les mêmes caractéristiques. Principal point d’entrée : la page d’accueil sur laquelle se retrouvent les espaces et outils de promotion de la librairie, notamment le classement en fonction des genres, prix, dates d’arrivée. Les possibilités de mise en avant sont relativement limitées, se cantonnant à des bannières présentant les dernières sorties ou encore les inévitables bestsellers.
Il faut reconnaître que la majorité des ebooks vendus aujourd’hui sont les mêmes bestsellers qu’en papier. Pourtant, l’offre diffère légèrement par rapport à la distribution physique, notamment avec de nouveaux acteurs 100 % numériques. La grande différence est que les bestsellers disposent de l’ensemble de la visibilité offerte par les librairies numériques actuelles. Que cela soit sur la FNAC ou l’iBookstore, la visibilité des petits éditeurs est moindre. Il n’y a qu’à voir la “une” des deux principales boutiques françaises. Pas ou peu de place pour les petits éditeurs…
Même si Apple ne facture pas les mises en avant sur la page d’accueil (mais choisis suivant ses propres critères ceux qui sont dignes d’intérêt), la mise en avant est encore hors de portée pour une bonne partie de l’édition. Alors, comment se démarquer ? Faire preuve d’originalité, aussi bien dans les textes (sujets ou contenus enrichis) que dans les manières de communiquer. Expérimenter, encore et toujours. C’est peut-être là la meilleure manière de se faire remarquer par l’un de ces géants. Mais n’y aurait-il pas d’autres moyens, notamment pour faire prendre conscience aux lecteurs potentiels de l’existence d’une offre non négligeable, et originale, de textes numériques ?
Les lectures publiques, de l’événement à l’effet sur les ventes
Autre solution pour faire parler d’un ouvrage : organiser un événement. Si la conférence de presse est retenue par un grand nombre de maisons, tandis que les dédicaces composent l’autre partie (mais comment dédicacer un livre numérique ?), les lectures publiques sont remises au goût du jour avec le numérique. Pourtant, elles ne sont pas légion. En France, deux expériences majeures (en dehors du travail régulier qu’effectue François Bon autour des textes publiés sur Publie.net), une lecture publique à la librairie l’Arbre à Lettres pour l’un des titres NumerikLivres et deux événements organisés par Apple France avec l’éditeur Versilio dans la prestigieuse boutique du Louvre.
D’ampleur différente, ces deux événements ont rencontré un succès certain. Dans le cas de l’événement à l’Arbre à Lettres, une petite cinquantaine de personnes ont assisté à la lecture de l’auteur numérique Astrid Monet tout au long d’une soirée détendue. Les questions fusaient sur les changements engagés par le passage au numérique, la place de l’auteur dans ce nouvel écosystème, le nouveau rôle de l’éditeur et du libraire, etc. D’emblée, ce nouvel environnement numérique interpelle les lecteurs. Mais quid du texte en lui-même, de ses ventes directes ? Aujourd’hui, on ne peut pas lier l’organisation d’un tel événement avec une hausse significative des ventes.
Les événements de plus grande envergure sont logés à la même enseigne. À deux reprises, Versilio et Apple France ont organisé une lecture publique de deux de leurs auteurs phares, Eli Anderson et Marc Levy. Si le premier événement a été un franc succès, le deuxième était plus contrasté. Dans le cas d’Eli Anderson, le public était important et de nombreux fans de l’auteur avaient fait le déplacement. En revanche, il était difficile d’entendre agréablement la lecture de l’auteur tant le bruit ambiant d’un Apple Store limite la performance. Lors de la session dédiée à Marc Levy, nous avons été étonnés par le nombre de personnes venues avec leur exemplaire papier d’un des titres de l’auteur. Certes, la dédicace sur livre numérique n’est pas encore généralisée (même Barnes&Noble et Amazon y travaillent activement)…
Ces événements sont avant tout destinés à promouvoir l’auteur et pas forcément le support ou le texte dans sa version numérique. La lecture de Marc Levy ne lui aura pas permis de passer devant Guillaume Musso au classement des ventes de l’iBookstore. Il est fort probable que Marc Levy aura vendu plus de livres papier à l’issue de cet événement que d’ePub. De cette manière, un éditeur 100 % numérique aura un retour sur investissement encore moindre… Au coeur de ce paradoxe, le taux d’équipement encore faible en support de lecture numérique, même s’il croît rapidement, est un point d’écueil à toute stratégie de communication autour d’un livre numérique.
À travers ces deux remarques, on s’aperçoit que les moyens de communication sur le livre numérique sont encore limités. Les relais promotionnels sont embryonnaires sur Internet tandis qu’un événement in real life n’est pas forcément la meilleure option. En tout cas, voici un sujet qui devrait continuer à provoquer la discussion chez les éditeurs et leurs nouveaux partenaires.
Crédits photos : Apple France et eBouquin