Le Conseil d’Etat vient de rejeter, par une décision du 27 avril 2011, en quasi-totalité, plusieurs recours tendant à l’annulation d’un arrêté interministériel en date du 9 mai 2006, relatif aux nutriments pouvant être employés dans la fabrication des compléments alimentaires. L’arrêt est très intéressant, notamment par l’analyse opérée par le Juge du principe de précaution Analyse.
Une précision tout d’abord : si les demandes d’annulation introduites par plusieurs fabricants de compléments alimentaires ont été rejetées, à l’exception d’une. Le Conseil d’Etat a en effet annulé une partie de l’annexe III de l’arrêté du 9 mai 2006 en ce qu’elle fixait une dose journalière maximale pour la consommation des vitamines K, B1, B2, B5, B8 et B12.
Il convient tout de souligner que, dans cette affaire, le Conseil d’Etat avait, par décision du 17 décembre 2007, sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice des communautés européennes se soit prononcée sur plusieurs questions afférentes principalement à l’interprétation de la directive du 10 juin 2002 relative aux compléments alimentaires. Les questions avaient essentiellement trait à la ventilation des compétences entre la Commission européenne et les Etats membres pour réglementer le contenu en vitamines et minéraux desdits compléments.
En premier lieu, l’arrêt du 27 avril 2011 reprend l’analyse de la Cour de justice des Communautés européennes, notamment sur le point du principe de précaution :
« en cinquième lieu, d'une part, que la directive du 10 juin 2002 s'oppose à la fixation de quantités maximales lorsque, en l'absence de danger avéré pour la santé des personnes, des limites supérieures de sécurité n'ont pas été établies pour les vitamines et les minéraux en cause, à moins qu'une telle mesure ne soit justifiée en vertu du principe de précaution, si une évaluation scientifique des risques révèle qu'une incertitude persiste quant à l'existence ou à la portée de risques réels pour la santé et, d'autre part, que, après que ces limites ont été établies, la possibilité de fixer de telles quantités maximales à un niveau sensiblement inférieur à ces limites ne saurait être exclue dès lors que la fixation de ces quantités maximales peut être justifiée par la prise en compte des éléments figurant aux paragraphes 1 et 2 de l'article 5 de cette même directive et qu'elle est conforme au principe de proportionnalité, ce qu'il revient au juge national d'apprécier au cas par cas »
Ainsi, au titre du principe de précaution, un Etat est fondé à fixer une « quantité maximale » pour ces vitamines et minéraux, même en l’absence de « danger avéré pour la santé des personnes » dés lors qu’une telle mesure peut être justifiée « en vertu du principe de précaution » et ce, dans le respect d’un autre principe, celui de proportionnalité.
Le Conseil d’Etat, à la suite de la Cour de justice des Communautés européennes, va donc combiner une interprétation littérale des dispositions de la directive du 10 juin 2002 avec les exigences des principes de précaution et de proportionnalité qui permettent à un Etat membre de tenir compte d’une incertitude scientifique.
Par voie de conséquence, le Conseil d’Etat, au terme d’une analyse très fine et au cas par cas des conditions d’élaboration des mesures contestées au regard des connaissances scientifiques disponibles et de leur motivation, va contrôler la régularité des mesures fixant des doses maximales ou nulles pour chacun des nutriments en cause dans la composition des compléments alimentaires.
On soulignera que le taux admissible peut être – régulièrement – nul. Il en va ainsi pour le fluor : « qu'eu égard en particulier aux risques de fluorose dentaire - chez l'enfant - et osseuse - chez l'adulte - associés à une consommation excessive de ce nutriment, la fixation d'un taux nul ne saurait être, dès lors, regardée comme n'étant pas limitée à ce qui est nécessaire pour assurer la protection de la santé et comme non proportionnée à l'objectif recherché ».
Le principe de précaution est donc un principe d’interprétation de dispositions plus précises – ici celles de la directive de 2002, qui a une incidence procédurale certaine. Il convient également de souligner que le principe de précaution s’adresse ici à des personnes publiques et concerne des problèmes sanitaires là où, lors de l’élaboration de la Charte de l’environnement, il avait été question de borner son champ d’application à des problèmes environnementaux au sens strict.
Cet arrêt du Conseil d’Etat s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel particulièrement intéressant. Alors que certains parlementaires avaient récemment proposé que la loi vienne encadrer - pour ne pas dire réduire - la portée de ce principe, force est de constater que le Conseil d’Etat l’intègre à son contrôle et assure son effectivité.
Le principe de précaution n'est définitivement plus un principe que l'on pourrait qualifier de simplement "politique", purement déclaratoire et sans réelle portée pratique. Au demeurant, sa vocation procédurale est confirmée par le Conseil d'Etat alors que certains craignaient, lors de son introduction en droit, que ce principe n'ait une incidence pour le droit de la responsabilité.
Surtout, force est de constater que le principe de précaution a pour objet d'orienter l'action des pouvoirs publics et non, directement, des personnes privées. A l'inverse ces dernières, dans l'analyse de leurs obligations dans le champs sanitaire et environnementale ne peuvent plus lire et interpréter les règles de droit qui leur sont applicables, sans tenir compte de ce principe qui est- la preuve est ici rapportée - un principe d'action et non un principe d'inaction, un principe d'encouragement du progrés des connaissances scientifiques et nullement un principe anti science.
C'est la thèse que je soutenais à la Faculté de droit, en 1998.
Voir, notamment, ces précédents billets :
Arrêt du Conseil d'Etat : le principe de précaution et les antennes relais de téléphonie mobile (21 juillet 2010)
Principe de précaution : le Conseil d'Etat condamne l'Etat dans l'affaire du "ris de veau" (8 juillet 2010)
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Conseil d'État
N° 295235
Publié au recueil Lebon
1ère et 6ème sous-sections réunies
M. Vigouroux, président
M. Jean Lessi, rapporteur
Mme Landais Claire, rapporteur public
SCP TIFFREAU, CORLAY, MARLANGE, avocats
lecture du mercredi 27 avril 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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Vu, avec les pièces qui y sont visées, la décision en date du 17 décembre 2007 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur les requêtes enregistrées sous les n°s 295235, 295236, 295237, 295331, 295381, 295592, 295593, 295748 et 295978, présentées respectivement pour la SOCIETE SOLGAR VITAMIN'S FRANCE, pour la SARL VALORIMER, pour M. Christian A, pour la SARL L'ARBRE DE VIE, pour la SOCIETE SOURCE CLAIRE, pour l'EURL NORD PLANTES, pour la SOCIETE RCS DISTRIBUTION, pour la SOCIETE PONROY SANTE et par le SYNDICAT DE LA DIETETIQUE ET DES COMPLEMENTS ALIMENTAIRES et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté interministériel du 9 mai 2006 relatif aux nutriments pouvant être employés dans la fabrication des compléments alimentaires, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur les questions de savoir :
1°) si la directive 2002/46/CE du 10 juin 2002, en particulier ses articles 5, paragraphe 4, et 11, paragraphe 2, doit être interprétée en ce sens que s'il appartient en principe à la Commission de définir les quantités maximales de vitamines et de minéraux présentes dans les compléments alimentaires, les Etats membres demeurent compétents pour adopter une réglementation en la matière tant que la Commission n'a pas adopté l'acte communautaire requis ;
2°) en cas de réponse affirmative à cette question :
a) si les Etats membres, qui sont tenus, pour fixer ces quantités maximales, de respecter les stipulations des articles 28 et 30 du Traité CE, doivent aussi s'inspirer des critères définis à l'article 5 de la directive, y compris l'exigence d'une évaluation des risques fondée sur des données scientifiques généralement admises dans un secteur caractérisé encore par une relative incertitude ;
b) si un Etat membre peut fixer des maxima lorsqu'il est impossible, comme dans le cas du fluor, de chiffrer avec précision les apports en vitamines et minéraux provenant d'autres sources alimentaires, notamment de l'eau de distribution, pour chaque groupe de consommateurs et territoire par territoire et s'il peut, dans ce cas, fixer un taux nul en présence de risques avérés sans recourir à la procédure de sauvegarde prévue à l'article 12 de la directive du 10 juin 2002 ;
c) si, étant donné qu'il est possible, dans la fixation des teneurs maximales, de tenir compte des différences de niveaux de sensibilités de différents groupes de consommateurs aux termes même du a) du paragraphe 1 de l'article 5 de la directive, un Etat membre peut aussi se fonder sur ce qu'une mesure visant le seul public particulièrement exposé au risque, par exemple un étiquetage adapté, pourrait dissuader ce groupe de recourir à un nutriment bénéfique pour lui à faibles doses, et si la prise en compte de cette différence de sensibilité peut alors conduire à appliquer à l'ensemble de la population la teneur maximale adaptée à un public fragile, notamment aux enfants ;
d) dans quelle mesure des maxima peuvent être fixés en l'absence de limites de sécurité faute de danger établi pour la santé et, plus généralement, dans quelle mesure et à quelles conditions la pondération des critères à prendre en compte pourrait-elle conduire à fixer des maxima sensiblement inférieurs aux limites de sécurité admises pour ces nutriments ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 31 mars 2011, présentée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne ;
Vu la directive 2002/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 10 juin 2002 ;
Vu le décret n° 2006-352 du 20 mars 2006 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean Lessi, Auditeur,
- les observations de la SCP Tiffreau, Corlay, Marlange, avocat de la SOCIETE SOLGAR VITAMIN'S FRANCE et autres,
- les conclusions de Mme Claire Landais, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Tiffreau, Corlay, Marlange, avocat de la SOCIETE SOLGAR VITAMIN'S FRANCE et autres ;
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la directive du 10 juin 2002 relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant les compléments alimentaires : 1. Les quantités maximales de vitamines et de minéraux présentes dans les compléments alimentaires sont fixées en fonction de la portion journalière recommandée par le fabricant en tenant compte des éléments suivants : / a) les limites supérieures de sécurité établies pour les vitamines et les minéraux après une évaluation scientifique des risques fondée sur des données scientifiques généralement admises, compte tenu, le cas échéant, de la différence des niveaux de sensibilité de différents groupes de consommateurs ; / b) les apports en vitamines et en minéraux provenant d'autres sources alimentaires. / 2. Lors de la fixation des quantités maximales visée au paragraphe 1, il est également dûment tenu compte des apports de référence en vitamines et en minéraux pour la population. (...) / 4. Les quantités maximales et minimales de vitamines et de minéraux mentionnés aux paragraphes 1, 2 et 3 sont arrêtées selon la procédure visée à l'article 13, paragraphe 2. ;
Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret du 20 mars 2006 relatif aux compléments alimentaires : Aux fins du présent décret, on entend par : (...) / 2° Nutriments , les substances suivantes : / a) Vitamines ; / b) Minéraux (...) ; qu'aux termes de l'article 5 du même décret : Les nutriments définis au 2° de l'article 2 ne peuvent être employés dans la fabrication des compléments alimentaires que dans les conditions fixées par arrêté des ministres chargés de la consommation, de l'agriculture et de la santé. / Cet arrêté fixe : (...) / 3° Les teneurs maximales admissibles et, le cas échéant, les teneurs minimales requises (...) ; qu'aux termes de l'article 3 de l'arrêté attaqué : L'utilisation des substances vitaminiques et minérales énumérées à l'annexe II ne doit pas conduire à un dépassement des doses journalières mentionnées à l'annexe III du présent arrêté, compte tenu de la portion journalière de produit recommandée par le fabricant telle qu'elle est indiquée dans l'étiquetage ; que l'annexe III de cet arrêté fixe ces doses maximales ;
Considérant que, dans l'arrêt du 29 avril 2010 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel après avoir écarté les autres moyens des requêtes, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, en premier lieu, que la directive du 10 juin 2002 doit être interprétée en ce sens que, sans préjudice du traité instituant la Communauté européenne, les Etats membres demeurent compétents pour adopter une réglementation relative aux quantités maximales de vitamines et de minéraux pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires tant que la Commission européenne n'a pas arrêté ces quantités conformément au paragraphe 4 de l'article 5 de cette même directive ; en deuxième lieu, que, dans l'exercice de cette compétence, les Etats membres, outre l'obligation de respecter les articles 28 et 30 du traité instituant la Communauté européenne, sont tenus de s'inspirer des éléments figurant aux paragraphes 1 et 2 de l'article 5 de la directive du 10 juin 2002, y compris de l'exigence d'une évaluation des risques fondée sur des données scientifiques généralement admises ; en troisième lieu, que, dans une situation où, lors de la fixation de la quantité maximale, il est impossible de chiffrer avec précision les apports d'un minéral provenant d'autres sources alimentaires, et tant que la Commission européenne n'a pas arrêté les quantités maximales, un Etat membre peut, s'il existe un risque avéré que ces apports atteignent la limite supérieure de sécurité établie pour le minéral en question et à condition de respecter les articles 28 et 30 précités, fixer la quantité maximale à une valeur nulle sans recourir à la procédure prévue à l'article 12 de la directive du 10 juin 2002 ; en quatrième lieu, d'une part, que la circonstance qu'un étiquetage adapté pourrait dissuader le groupe de consommateurs auquel il s'adresse de recourir à un nutriment bénéfique pour lui à faible dose ne constitue pas un élément pertinent pour fixer ces quantités maximales, d'autre part, que la prise en compte de la différence des niveaux de sensibilité de différents groupes de consommateurs ne saurait permettre à un Etat membre d'appliquer à l'ensemble de la population une telle quantité maximale adaptée à un groupe de consommateurs spécifique, tel que celui des enfants, que si cette mesure est limitée à ce qui est nécessaire pour assurer la protection de la santé des personnes appartenant à ce groupe et si cette mesure est proportionnée à l'objectif qu'elle poursuit, celui-ci ne pouvant pas être atteint par des mesures moins restrictives des échanges à l'intérieur de l'Union européenne ; en cinquième lieu, d'une part, que la directive du 10 juin 2002 s'oppose à la fixation de quantités maximales lorsque, en l'absence de danger avéré pour la santé des personnes, des limites supérieures de sécurité n'ont pas été établies pour les vitamines et les minéraux en cause, à moins qu'une telle mesure ne soit justifiée en vertu du principe de précaution, si une évaluation scientifique des risques révèle qu'une incertitude persiste quant à l'existence ou à la portée de risques réels pour la santé et, d'autre part, que, après que ces limites ont été établies, la possibilité de fixer de telles quantités maximales à un niveau sensiblement inférieur à ces limites ne saurait être exclue dès lors que la fixation de ces quantités maximales peut être justifiée par la prise en compte des éléments figurant aux paragraphes 1 et 2 de l'article 5 de cette même directive et qu'elle est conforme au principe de proportionnalité, ce qu'il revient au juge national d'apprécier au cas par cas ;
En ce qui concerne les moyens dirigés contre l'ensemble de l'annexe III de l'arrêté :
Considérant, en premier lieu, que si la directive du 10 juin 2002 prévoit une harmonisation complète de la législation applicable dans les Etats membres dans le domaine des vitamines et minéraux présents dans les compléments alimentaires et confie à la Commission européenne la fixation des quantités maximales et minimales de ces nutriments qui peuvent y être admises, il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que les Etats membres demeurent compétents pour fixer ces quantités maximales tant que la Commission européenne ne les a pas elle-même fixées ; qu'il est constant que la Commission européenne n'avait pas, à la date de l'arrêté attaqué, adopté de telles mesures ; que le moyen tiré de l'incompétence des autorités françaises ne peut, dès lors, qu'être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, que, dès lors qu'il est tenu compte des risques avérés ou éventuels liés à l'ingestion d'un nutriment, soit qu'une limite supérieure de sécurité ait pu être fixée en considération de dangers établis, soit qu'une incertitude scientifique persiste quant à l'existence ou à la portée de risques réels pour la santé publique, les dispositions de l'article 5 de la directive du 10 juin 2002, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, autorisent les Etats membres, qui disposent à cette fin d'un pouvoir d'appréciation, à prendre en compte les apports de référence en vitamines et en minéraux pour fixer des quantités maximales de vitamines et de minéraux pouvant être présents dans les compléments alimentaires ; qu'il ressort des pièces du dossier que les ministres auteurs de l'arrêté attaqué, après avoir, sur la base d'éléments scientifiques d'évaluation des risques fournis en particulier par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments dans ses avis émis les 28 avril 2003 et 12 octobre 2004, classé les nutriments concernés en trois niveaux de risque en fonction, d'une part, de la quantité du nutriment pouvant être ingérée quotidiennement sans danger, exprimée, le cas échéant, sous forme d'une limite supérieure de sécurité et, d'autre part, des apports provenant des autres sources alimentaires, ont fixé les doses journalières maximales litigieuses de manière proportionnelle aux apports journaliers recommandés (AJR) - qui doivent être regardés comme les apports de référence au sens de l'article 5 de la directive du 10 juin 2002 - en retenant une valeur égale à trois fois les AJR pour les nutriments présentant le moins de risque, une valeur égale aux AJR pour les nutriments présentant un risque de dépassement de la limite supérieure de sécurité, et une valeur inférieure aux AJR voire nulle pour les nutriments comportant le plus de risque ; que cette méthode, qui repose sur le degré de risque pouvant être associé à chaque nutriment, ne saurait par elle-même être regardée comme étant incompatible avec les objectifs de la directive du 10 juin 2002 ;
Considérant, en troisième lieu, que la directive du 10 juin 2002, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, n'exclut pas que, sous certaines conditions, la quantité maximale puisse être fixée pour l'ensemble de la population en fonction des caractéristiques d'un seul groupe de consommateurs sensibles ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en prenant en compte ce critère, les ministres auraient commis une erreur de droit ; qu'au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que les ministres auraient systématiquement fait usage de ce critère ;
En ce qui concerne les moyens dirigés contre l'annexe III de l'arrêté en tant qu'elle fixe les doses journalières maximales de certaines vitamines et de certains minéraux :
S'agissant du fluor :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'interprétation de la directive du 10 juin 2002 qui a été donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que la présence du fluor sur la liste des vitamines et minéraux pouvant être autorisés dans la fabrication de compléments alimentaires figurant à l'annexe I de cette directive ne fait pas à elle seule obstacle à la fixation d'une dose maximale égale à zéro pour ce nutriment ;
Considérant, en deuxième lieu, que si les requérants soutiennent que la France ne pouvait légalement fixer un taux nul sans recourir à la procédure dite de sauvegarde prévue par les dispositions de l'article 12 de la directive du 10 juin 2002, qui permettent à un Etat de suspendre ou de restreindre sur son territoire l'application de la directive ou des mesures prises pour son application lorsque des éléments nouveaux conduisent à réévaluer le risque associé à un nutriment, il résulte de l'interprétation de la directive du 10 juin 2002 donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que le recours à cette procédure suppose que la Commission européenne ait exercé sa compétence et fixé elle-même les doses maximales ; que les dispositions de l'article 12 n'étaient, dès lors, pas encore applicables à la date de l'arrêté attaqué ; que le moyen doit, par suite, être écarté ;
Considérant, en troisième et dernier lieu, que la directive du 10 juin 2002, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, ne fait pas obstacle, dans le respect du principe de proportionnalité, à ce que la dose maximale d'un nutriment soit fixée à une valeur nulle, à la double condition toutefois qu'il soit impossible de chiffrer avec précision les apports de ce nutriment provenant d'autres sources alimentaires et qu'il existe un risque avéré que ces apports dépassent la limite supérieure de sécurité ; qu'il ressort des pièces du dossier, d'une part, qu'en raison de la forte hétérogénéité des concentrations en fluor dans l'eau de consommation selon la localisation géographique et de la diversité des régimes alimentaires, les consommateurs ne sont pas en mesure de déterminer avec précision les apports en fluor provenant de leur alimentation ; que, d'autre part, les apports moyens en fluor peuvent avoisiner ou dépasser les limites supérieures de sécurité ; que si les requérants soutiennent qu'en application du principe de proportionnalité, un étiquetage approprié suffirait pour assurer la protection de la santé des catégories de personnes les plus exposées à un risque de dépassement des limites supérieures de sécurité, il résulte de ce qui vient d'être dit que ces personnes ne sont pas davantage en mesure d'apprécier effectivement les apports en fluor provenant d'autres sources alimentaires que celles des compléments alimentaires et, par suite, de limiter leur consommation de fluor en deçà de la limite supérieure de sécurité ; qu'eu égard en particulier aux risques de fluorose dentaire - chez l'enfant - et osseuse - chez l'adulte - associés à une consommation excessive de ce nutriment, la fixation d'un taux nul ne saurait être, dès lors, regardée comme n'étant pas limitée à ce qui est nécessaire pour assurer la protection de la santé et comme non proportionnée à l'objectif recherché ; qu'il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté attaqué serait, sur ce point, incompatible avec les objectifs de la directive du 10 juin 2002 et avec les articles 28 et 30 du traité instituant la Communauté européenne alors en vigueur ;
S'agissant de la vitamine K :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et n'est d'ailleurs pas contesté que la dose journalière maximale de ce nutriment a été fixée par les ministres à 25 microgrammes par jour au regard exclusivement des risques qu'une supplémentation en vitamine K peut présenter pour l'efficacité des traitements anticoagulants ; que si cette dose maximale est de nature à assurer la protection de la santé des personnes suivant de tels traitement, il apparaît toutefois qu'un étiquetage approprié, informant spécifiquement ces consommateurs sur les effets potentiels d'une ingestion de vitamine K sous forme de complément alimentaire, constituerait une mesure suffisante pour garantir cet objectif, vis-à-vis de ce groupe de personnes attentives au traitement qui leur a été prescrit et faisant l'objet d'un suivi médical ; qu'il résulte de l'interprétation de la directive du 10 juin 2002 donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que la circonstance qu'un étiquetage adapté pourrait dissuader le groupe de consommateurs auquel il s'adresse de recourir à un nutriment bénéfique pour lui à faible dose ne constitue pas un élément pertinent pour fixer une quantité maximale ; qu'en l'absence de tout autre élément utile de justification de la dose maximale retenue, celle-ci doit être regardée comme méconnaissant le principe de proportionnalité ; que les requérants sont, par suite, fondés à demander l'annulation de l'arrêté attaqué sur ce point ;
S'agissant du phosphore, du cuivre, du manganèse, du sélénium, du molybdène, des vitamines B3, C et E :
Considérant que, contrairement à ce qui est allégué, l'interprétation de la directive du 10 juin 2002 donnée par la Cour de justice de l'Union européenne ne s'oppose pas à ce que les ministres auteurs de l'arrêté attaqué tiennent également compte de limites supérieures de sécurité qui auraient été établies au niveau national, et non, exclusivement, de limites établies au niveau européen ; que, s'agissant du phosphore, du cuivre, du manganèse, du sélénium, du molybdène et des vitamines B3, C et E, les requérants se bornent à soutenir que les ministres ont fixé des maxima sensiblement inférieurs aux limites supérieures de sécurité sans apporter de précisions suffisantes à l'appui de leur moyen, alors que cette seule circonstance n'est pas de nature à entacher d'illégalité l'arrêté en tant qu'il détermine les doses maximales pour chacun de ces minéraux dès lors que, comme il a été dit ci-dessus la directive du 10 juin 2012, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, ne fait pas obstacle à ce que la fixation de quantités maximales prenne en compte les apports de référence en vitamines et minéraux ;
S'agissant de la vitamine B6 :
Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne ressort pas des pièces du dossier que la dose maximale pour ce nutriment aurait été fixée par les ministres à 2 mg par jour en considération du seul risque de dépassement de la limite supérieure de sécurité établie pour les enfants de 2 à 4 ans, mais qu'au contraire, il a été tenu compte en outre, d'une part, de la limite supérieure de sécurité établie pour cette vitamine chez l'adulte et, d'autre part, du critère des apports journaliers recommandés ; qu'ils ne sont, par suite, pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté attaqué sur ce point ;
S'agissant du potassium, du chrome et des vitamines B1, B2, B5, B8 et B12 :
Considérant que si, s'agissant du potassium et du chrome, les requérants soutiennent qu'aucune limite supérieure de sécurité n'a été établie, il ressort des pièces du dossier que les incertitudes quant au seuil de survenance et à la portée des risques associés à une consommation excessive de ces nutriments - tels que l'hyperkaliémie et les troubles cardiaques pour le potassium ou les effets neurotoxiques pour certaines formes de chrome - peuvent justifier, dans son principe, la fixation de doses maximales dont les niveaux, respectivement de 80 mg et 25 microgrammes, ne sont pas sérieusement contestés par les requérants ;
Considérant, en revanche, qu'ainsi qu'il a déjà été dit, l'interprétation de la directive du 10 juin 2002 donnée par la Cour de justice de l'Union européenne n'autorise la fixation de quantités maximales qu'en présence d'une limite supérieure de sécurité ou, à défaut, d'incertitudes de nature à justifier l'application du principe de précaution ; qu'il suit de là que, dès lors que les ministres auteurs de l'arrêté attaqué ne font état ni de l'existence d'une limite supérieure de sécurité s'agissant des vitamines B1, B2, B5, B8 et B12 ni d'incertitudes quant au seuil de survenance et à la portée des risques associés à une consommation excessive de ces vitamines, la fixation de doses maximales pour ces nutriments doit être regardée comme incompatible avec les objectifs de la directive du 10 juin 2002 ; que l'arrêté doit, dès lors, être annulé dans cette mesure ;
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
Considérant que, s'agissant des vitamines K, B1, B2, B5, B8 et B12, la présente décision d'annulation n'implique par elle-même pas nécessairement que le ministre fixe de nouvelles doses maximales ; que la présente décision rejetant par ailleurs le surplus des conclusions à fin d'annulation des requérants, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par le SYNDICAT DE LA DIETETIQUE ET DES COMPLEMENTS ALIMENTAIRES ne peuvent, par suite, qu'être rejetées dans leur intégralité ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au SYNDICAT DE LA DIETETIQUE ET DES COMPLEMENTS ALIMENTAIRES et d'une somme globale de 3 000 euros à la SOCIETE SOLGAR VITAMIN'S FRANCE, à la SARL VALORIMER, à M. A, à la SARL L'ARBRE DE VIE, à la SOCIETE SOURCE CLAIRE, à l'EURL NORD PLANTES, à la SOCIETE RCS DISTRIBUTION et à la SOCIETE PONROY SANTE ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 9 mai 2006 est annulé en tant qu'il fixe, à son annexe III, les doses journalières maximales pouvant être utilisées dans les compléments alimentaires, compte tenu des portions recommandées par le fabricant, pour les vitamines K, B1, B2, B5, B8 et B12.
Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes présentées devant le Conseil d'Etat est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera une somme globale de 3 000 euros à la SOCIETE SOLGAR VITAMIN'S FRANCE, à la SARL VALORIMER, à M. A, à la SARL L'ARBRE DE VIE, à la SOCIETE SOURCE CLAIRE, à l'EURL NORD PLANTES, à la SOCIETE RCS DISTRIBUTION et à la SOCIETE PONROY SANTE et une somme de 3 000 euros au SYNDICAT DE LA DIETETIQUE ET DES COMPLEMENTS ALIMENTAIRES au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE SOLGAR VITAMIN'S FRANCE, à la SARL VALORIMER, à M. Christian A, à la SARL L'ARBRE DE VIE, à la SOCIETE SOURCE CLAIRE, à l'EURL NORD PLANTES, à la SOCIETE RCS DISTRIBUTION, à la SOCIETE PONROY SANTE, au SYNDICAT DE LA DIETETIQUE ET DES COMPLEMENTS ALIMENTAIRES, à la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, au ministre du travail, de l'emploi et de la santé et au ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoi