Magie de gros bouts d’acier rouillé au milieu de parcs centenaires : Bernar (sans « d », ça ferait trop peuple, sinon) Venet expose ses bidules au milieu de Versailles depuis le 17 mai dernier. Émoi. Palpitance. Beautitude.
Il m’arrive parfois d’évoquer (comme ici ou là), une légère sueur froide glissant dans le dos, les péripéties de la République du Bisounoursland en matière de Sexes Gigantesques Roses en plastique thermodurci ou autres happenings époustouflants dont les caractéristiques sont finalement toujours les mêmes :
- cela doit occuper beaucoup d’espace et/ou de temps,
- coûter un pognon considérable sorti de la poche d’une multitude bêlante de moutontribuables pas au courant,
- et choquer tant que ça peut le bourgeois forcément réactionnaire et coincé.
Moyennant quoi, on peut présenter des 3×4 d’adolescents s’enfilant lascivement sous le regard complice (mais zartistique, attôssion) d’un photographe pas du tout pédophile qui exprime le mal-être trouble d’une génération en pleine exploration sensuelle de son propre corps pour l’aider à s’approprier sa propre humanité d’adulte en devenir. Moui. Et mettez un peu de marron louche ici, et faites pipi là, et n’oubliez pas d’asperger ceci de copeaux de concombre qu’on va gélifier dans des polyacrylates quelconques. Voilà, c’est superbe.
Cette fois-ci, on nous propose donc de gros morceaux d’arc de cercle d’une vingtaine de mètre de haut, ou de long, selon qu’on les positionne en hauteur ou qu’on les flanque par terre, dans le passage, en acier massif donc légers à manipuler et à sécuriser, dans le cadre idyllique pour ce genre de performance artistique du Château de Versailles qui a déjà vu passer, rappelons-le, les teckels gonflables de Koons et les bouddhas dorés de Murakami.
J’ai dit « on nous propose » alors que le verbe est bien sûr « impose », dans tous les sens : d’un côté, on aura eu la présence d’esprit de ponctionner nos poches du montant correspondant pour ces bouts d’acier rouillés, et de l’autre, on les aura placés au milieu de Versailles sans nous demander notre avis.
Et l’effet est saisissant puisque, de loin, on a l’impression qu’une baleine gigantesque s’est échouée là et y a définitivement pourri, laissant derrière elle ses côtes décharnées d’un marron évocateur.
Un peu plus loin, on pourra admirer ce que notre aimable artiste a sobrement intitulé « Effondrement », qui est probablement l’état général dans lequel le contribuable se trouve quand la facture de ces pitreries lui parvient.
Oh, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : Bernar Venet n’est pas nul.
Déjà, lui, il ne fait pas dans le plastique bas de gamme et les jouets gonflables, puisque c’est de l’acier bien dur, bien lourd, bien rouillé qu’il utilise.
Je n’ai pas dit non plus qu’il est dépourvu de talent. Pour ce que j’en vois, il en faut, du talent et de l’énergie pour fabriquer des trucs-machins qui pèsent des tonnes et ne servent consciencieusement à rien du tout, dans un matériau résistant un peu à l’épreuve du temps et de la réflexion, le tout dans une bonne humeur bien plus inoxydable que l’acier dont il est fait…
Et puis, ces bidules un peu bizarres ne sont pas aussi moches que certaines réalisations beaucoup plus douteuses d’autres zartistes tous aussi subventionnés que notre bricoleur de l’espace-temps interstitiel des cosmogonies fumoïdes en mouvements branchouilles (ami lecteur, ne cherche pas à comprendre toutes les phrases de ce billet, certains pièges à zartistes se sont glissés dans la trame du texte).
Mais j’aimerai bien savoir, indépendamment de la pertinence de ces … mhm disons œuvres et de l’extraôôôôôôrdinaire génie du maître, ce qui justifie qu’on dépense régulièrement l’argent du contribuable pour des expositions parfaitement arbitraires (et d’un goût discutable), à la seule discrétion du type en charge du lieu.
Pourquoi et comment Aillagon (l’actuel responsable de Versailles) a-t-il choisi Venet ? Pourquoi n’a-t-il pas, par exemple, choisi de faire imprimer sur de grandes bâches roses fluo, sur 10m de long et 3 de haut, les aphorismes les plus rigolos et les mieux sentis de h16, un blogueur sémillant qui, justement, ne facture qu’un million pour ce genre de performances zartistiques ? Ou, si ses aphorismes ne plaisent pas, le même blogueur propose des photos de jolies paires de seins peints en bleu, en 3×4. Il peut faire ça aussi (pour 250.000€ l’exemplaire ; chères lectrices, envoyez-moi vos meilleurs clichés, et je reverse 10% de mes émoluments citoyens, festifs et libidineux).
En ces temps de crise où, désolé de le rappeler, des gens manquent de travail, des familles voient leur pouvoir d’achat diminuer, je trouve plus que scandaleux de dépenser l’argent qui leur est pris, de force, pour organiser ce genre de happening fumeux qu’ils ne verront d’ailleurs jamais, plutôt que, tout simplement, restituer le montant correspondant. Ou alors, puisqu’il semble acquis que l’Etat doive absolument dépenser, quoi qu’il advienne, qu’au moins on le fasse dans des dépenses collectives d’intérêt immédiat (tiens, par exemple, un IRM, la réfection d’une école, le bouchage de trous dans une section de route départementale, que sais-je…)
Bien sûr, on trouvera toujours un comique pour nous dire que l’argent dépensé pour les coûteuses clowneries des uns et des autres permet de générer de l’emploi, oubliant dans un réflexe fulgurant le sophisme de la vitre cassée ; et de toute façon, en quoi la France, ou Versailles, ont-ils besoin d’une nouvelle oeuvre d’art, d’un nouveau bidule ésotérique rigolo ou pas, actuellement ?
Oh, oui, rêver et faire de l’art, c’est très intéressant, c’est utile pour oublier la grisaille du monde moderne qui nous enchaîne dans le caca patati patata, mais on peut se demander si justement nous remettre une couche ripolinée « Zartiste » d’un même caca dispendieux est une vraie solution pragmatique aux problèmes que le pays traverse…
N’est-il pas plus que temps de redescendre sur terre ?