L'affaire DSK sur Liberation, par Christine Angot

Publié le 25 mai 2011 par Nathpass

L'affaire DSK

Le directeur du FMI est soupçonné d'agression sexuelle, séquestration de personne et tentative de viol.

Politiques 24/05/2011 à 00h00 (mise à jour à 11h41)

Le problème de DSK avec nous


DSK vient de prouver qu’il est de gauche. Qu’il pouvait se retrouver du jour au lendemain du côté des faibles, des petits, des humiliés, des menottés. De ceux qui peuvent tout perdre en un quart d’heure. Des malades, le mot qu’on entend dans le métro, dans le taxi, à la télé. Sans attendre sa défense, il est jugé. Malade, faible, petit, disgracié, menotté, la logique a repris ses droits. Spolié, enfin dans une chambre de douze mètres carrés, qui ne lui coûtera rien, pas trois mille euros. Il vient de prouver à ceux qui en doutaient qu’il était de gauche. Du côté de ceux dont la descente peut être rapide et qui ne se relèveront pas. Out, «KO», c’est Libération qui le dit. Tandis que Le Figaro se paye le luxe de feindre l’apitoiement qu’on réserve à ceux qui auraient pu… mais non, quelque chose n’allait pas, la preuve vient d’être apportée par l’intéressé.
Retournement des vestes, promptitude à condamner celui sur qui on était prêt à miser. Ceux qui croyaient s’être placés cherchent un nouveau cheval, aucune constance, aucune fidélité, des girouettes opportunistes. DSK les a piégés. Il est de ceux qui ne peuvent pas construire, pas thésauriser, capitaliser leurs chances, leurs talents, économiser, sur qui il ne fallait pas investir.
«De toute façon ç’a toujours été un queutard, on le savait.» Les opinions se bousculent. La droite reproche à la gauche de ne pas avoir dénoncé le queutard, l’agressif dont on savait depuis longtemps qu’il l’était. Mais, «la vie privée c’est sacrée». «Il ne pouvait pas en fait.» Le «en fait» à retardement, l’antisémitisme à retardement : l’argent de DSK pas vraiment valide, aussi scandaleux que celui des caïds du foot et de banlieue, ça ne fait pas un voisin respectable pour l’Upper East Side. M. le maudit du côté des Schwartz. Sa femme, Anne-Elise Schwartz. Pas si clair, pas si saint. Il est de ceux qui vont en prison. Qu’on arrête. A temps.
De Zahia à Carla Bruni il aurait pu cibler n’importe qui. Là il n’a pas eu la sexualité d’un chef. Une femme de ménage noire, s’il y tenait, il aurait dû la payer ou être prudent. Personne n’imagine qu’il a eu envie d’elle parce qu’il se savait comme elle, pour qu’elle le sauve de tout ce mensonge autour de lui. Des grilles des cellules de Rikers, dépassent des poignets noirs, des mains noires. Sa femme si riche n’aura qu’à lui porter des oranges en or.
Le coup de tête de Zidane c’était le même genre mais sous les caméras. C’était du spectacle, ça ne compte pas, à tous les coups il gagnait. Au point qu’aujourd’hui, c’est lui qui blanchit Blanc. Zidane n’était pas le style à perdre ce qu’il avait. Alors que DSK resigned ça ne veut pas dire «resigne» mais «démissionne». Pendant toute une semaine, j’ai pensé ça, tout ça. Qu’il y avait peut-être là-dedans quelque chose de sincère que la société ne voyait pas.
J’étais prise. Séduite par son visage malheureux dans le prétoire. A l’heure où on filmait la Conquête, il nous montrait un visage injouable au cinéma. Un visage vrai. Podalydès pourrait mettre des perruques, Bernard Le Coq remonter son pantalon, Vuillermoz travailler son 18 juin, aucun acteur n’arriverait jamais à le refaire. Ça me touchait. J’étais assaillie par mes pensées. Comme dans les Oiseaux, de Hitchcock, on ne peut pas colmater toutes les fenêtres et toutes les cheminées, il y a des brèches, des fentes, par où on est poursuivi, attaqué. Quelque chose échappe, et revient nous donner des coups de bec au coin des yeux. Ça fait mal. On ne sait plus où on en est.
Les premiers jours j’avais envie de défendre l’homme qui tombe. Quand on est une femme c’est tentant. C’est le bon plan, courageux et planqué à la fois. Alors qu’il a manipulé tout le pays et qu’on en est tous victimes. Viol ou une relation consentie, ça ne change rien à l’hypocrisie, à l’appropriation de la femme, si les faits sont avérés, et de tout un pays qui comptait sur lui. Aucun n’a le sens du sacrifice. Sarkozy non plus. Aucun n’a le sens du renoncement, de la résignation, du non à ses désirs. Ils y vont tous à fond. C’est ça qui doit nous plaire !! On est tous des victimes consentantes de DSK qui nous a dit : «Je vais quitter ma femme et me marier avec vous.» Il retourne avec elle, il ne quittera plus celle qui lui autorise tout. A la question : «Qu’est-ce qu’elle vous apporte ?», il l’avait dit : «Tout.» Il ne veut renoncer à rien. Nous, la France, on veut qu’on pense à nous, on n’en a rien à foutre de régner sur un maître à qui on apporte tout. Viol ou pas, on n’a plus envie d’un égoïste.
Les premiers jours, je refusais de voir qu’il y a bel et bien un salopard dans cette histoire. Un vulgaire, un riche, un gras, un bien nourri. Je ne voulais pas céder à ça. Mais j’y pensais dans mon lit la nuit. Je ne pouvais pas m’endormir. Je me disais : tu te trompes, tel détail n’est pas à son crédit. Je pensais à des hommes que j’ai connus et qui étaient pareils. Je rejetais les réactions féministes qui en profitent pour faire un point moral.
La «femme simple», comme dit avec condescendance son avocat, a attiré celui sur qui on avait misé, elle apparaît pourtant à l’avocat de DSK «less attractive» qu’il ne l’avait imaginée. Je me disais, en essayant de m’endormir : je vis vraiment dans une société dégueulasse. Je refusais de voir que DSK profitait de cette dégueulasserie. On n’est pas obligé de profiter de notre médiocrité. Il n’a pas un problème avec les femmes, il a un problème avec nous. Ça le faisait kiffer d’être puissant et faible à la fois, au-dessus des lois et en dessous, marié et bourré de maîtresses, d’assumer ses contradictions, encore un qui était contre l’hypocrisie, pour l’ouverture, décomplexé.
Ça nous plaisait, le dégoût fait partie de notre sexualité. En général les garde-fous agissent à temps. L’épouse, le contrôle, les amis, le silence, les dîners, toute la sociabilité. A New York, les garde-fous n’ont pas fonctionné, l’avion n’a pas eu le temps de décoller. La grenouille qui a voulu se faire aussi grosse qu’un bœuf a explosé.
Personne n’a rien dit parce que ça a du bon d’être désirée par un salopard, c’est bon le dégoût, ça donne une impression de puissance de protéger une brute. La vérité, c’est qu’on aime les gens de gauche à condition que ce soit des salopards. François Hollande on trouvait qu’il manquait de charisme, il ne séduisait pas, obligé de faire un régime, alors que l’autre s’accommodait de son poids. Cette société aime les séducteurs, les violeurs, les charismatiques. Les élections sont des affaires sexuelles. Marine Le Pen plaît à 20 % d’entre nous, et en fascine 80 %. Une femme-mec, phallique, ça nous plaît. Une femme qui domine son père, qui fait de plus gros scores.
Il va falloir faire avec ceux qui disent tout haut ce que tout le monde pense tout bas, ceux qui pensent comme tout le monde, ceux qui parlent comme tout le monde, ceux qui baisent utile ou avec des garde-fous, avec ceux qui connaissent la France, et n’ont même pas besoin de la manipuler, ni de la violer, elle leur mange dans la main.