Situé au numéro 10 de l’Avenue Pierre 1er de Serbie, le coquet palace du dix-neuvième siècle de style néoclassique de la duchesse de Galliera héberge depuis 1977 l’extraordinaire Musée de la Mode de la Ville de Paris.
Le spectre de sa collection de plus de cent milles pièces va de ravissantes robes antérieures à la révolution française qui sont tellement belles dans le vol des balançoires peint par Fragonard (évoquant le chant du cygne de cette période de grâce éternellement célébrée dans un imaginaire de littérature libertine, des fêtes et des promenades dans des jardins ouverts au cosmos où les automates cohabitent avec des espèces botaniques rares porteuses de venins, arômes et vertiges), jusqu’aux créations des grands couturiers contemporains. On y trouve, par exemple, pas moins de 300 pièces de Madame Grès, desquelles proviennent les 80 tenues, 50 photographies et des centaines de croquis qui constituent l’exposition Madame Grès: la couture à l’œuvre , ouverte au public jusqu’au 24 juillet prochain.
Dans toute l’histoire de la mode, nous trouvons peu de cas comparables à celui de Madame Grès (1903-1995). Bien qu’elle ait toujours été admirée inconditionnellement par la grande majorité de ses paires, et cela continua même après sa mort. D’Yves St Laurent (fondée à partir de son exemple, selon la confession de Pierre Bergé lui-même) à Azzedine Alaïa, d’Albert Elbar à Yamamoto, de Halston à Maiz Bowles… Elle est toujours une grande inconnue pour le grand public après être tombé tragiquement dans l’oubli dans les trente ou quarante dernières années. En effet elle est morte presque en secret (elle n’a jamais aimée la publicité, le marketing ni les interviews et elle avait l’habitude de dire “Je n’ai rien à dire, mais tout à montrer”) pendant sa retraite dans le sud de la France au milieu d’une ruine si fabuleuse qu’on la croirait sortie d’un vers de Verlaine.
La raison de son rapide déclin et de sa chute en disgrâce a été son refus ou son incapacité à s’intégrer dans le système du prêt à porter. Styliste des stylistes par excellence, puriste et rigoureuse, talent indiscutable (comme Balenciaga, dont la vision du style participe d’une certaine façon) pour tous ses collègues, Madame Grès à toujours été considéré comme une sculpteuse en marge des tendances qui réalisait son œuvre avec le matériel du tissage. Son dévouement exclusif à la haute couture venait de sa conception du design comme un travail où la relation personnelle de rencontre et de dialogue entre le créateur et le client était essentielle.
Peu de créateurs ont respecté autant le corps féminin, en l’élevant en même temps à une dimension presque surhumaine, autant et aussi bien qu’elle, que ce soit dans ses emblématiques tenues de soirées plissées ou dans ses tenues de jour d’inspiration minimaliste. Elles sont toutes confortables et faciles à porter et mettent en avant un intérêt évident non seulement pour les tenues de la Grèce antique mais aussi pour les traditions de lieux comme l’Inde, le nord de l’Afrique et le Japon.
Paul Oilzum