De 1895, au début des années Trente, un choix pertinent de 90 oeuvres des différentes étapes parisiennes de la carrière du peintre qui faisait aux femmes de grands yeux charbonneux en amande. Un admirateur des anarchistes, certes, mais pas un peintre maudit. Et ce n'est pas le moindre de ses paradoxes.
"Par la couleur, Van Dongen reste l’artificier du fauvisme. Il la régénère lors de ses voyages au Maroc, en Espagne et en Egypte au début des années 1910 où il réinvente l’Orient. Mais Paris reste le sujet principal de sa peinture : Montmartre – il y rencontre Picasso et Derain - au début du siècle, qui le séduit par la verve populaire et la vie de bohème ; Montparnasse, avant et après la guerre de 1914 dont il est l’un des principaux animateurs, mettant en scène une nouvelle femme
à connotation plus érotique. Et enfin, le Paris des « années folles » que Van Dongen qualifie de « période cocktail », où il se consacre exclusivement à la nouvelle élite parisienne : hommes et femmes de lettres, stars du cinéma et de la scène, aujourd’hui oubliés, annonçant avec quarante ans d’avance l’univers des « beautiful people » d’Andy Warhol. La pose est outrée, le costume et l’accessoire théâtralisés révélant le factice de ses personnalités qui n’existent qu’à travers leur rôle."
Il n'empêche : ses portraits de grands formats (l'artiste déclare qu'il n'aime pas "les tableaux qu'on emporte sous le bras") - tout comme ses caricatures ou ses affiches - rendent les femmes agressivement belles, outrageusement lascives et aux formes plus que suggestives, avec l'emploi de grands à-plats blancs ou de corps soulignés de vert. On retrouve tour à tour les influences de Turner, Toulouse-Lautrec, Signac, Manet. Mais le style de Van Dongen est unique et constant sur toute la période. On le reconnaît au premier coup d'oeil.
Son itinéraire passe par ses ateliers et ses épouses successives : Guus d'abord venue avec lui de Rotterdam, puis la beauté fatale de Jasmy, portraiturée en robe de soirée, royale, enfin Marie-Claire. On passe ainsi de Montmartre à Montparnasse, puis à l'atelier du 5 rue Juliette Lamber, enfin à Monaco.
De tous ces tableaux exposés ici émanant de ce peintre très productif, nous n'en avions encore jamais vu aucun. Mais certains sont particulièrement étonnants : les lutteuses de Tabarin, bras croisés en collants rose, les marchandes d'herbe et d'amour (bien avant Matisse), le nu couché, le tango, la chimère, le manège de cochons, le portrait d'Anna de Noiailles - qui porte sa cravate de la légion d'Honneur autour du cou en tenue de soirée - ou son contraire, celui du Docteur Rappoport en intellectuel fatigué. Celui de Fernande, la compagne de Picasso ....et soudain, nous voici dans le film de Woody Allen !
Admirablement présentées et éclairées, les oeuvres valent vraiment la peine d'une visite calme et sereine.
Au musée, on a tout le recul nécessaire et le matin, il n'y a pas trop de monde ...de très bonnes conditions pour bien en profiter.
C'est tellement rare !
Au musée d'Art Moderne de la ville de Paris jusqu'au 17 juillet, 11 avenue du Prédident Wilson, 75116 Paris, tous les jours sauf le lundi, 10€. Le jeudi jusqu'à 22 heures.