Saisir un instant, saisir une émotion, la garder intacte, impossible. Et pourtant c’est ce qui va mettre en marche l’écriture de ce narrateur, qui tantôt ose le « je », tantôt préfère le « il », pour tenir la distance : « C’est en écrivant qu’on devient écrivain, écrit-il ».
C’est un livre qui découvre, qui trébuche, qui hésite, qui se reprend, qui poursuit, qui attend, qui cherche, qui s’égare, qui se trouve, qui n’a pas le style qu’il faut, qui doit en essayer plusieurs, comme on essaye un costume, des chaussures, qui raconte des histoires, des vraies peut-être, des inventées sans doute, des drôles, des jamais tristes, qui se souvient, qui ne parle pas d’amour, mais qui aimerait le faire, qui commence dans la nuit et vous retrouve le jour suivant, qui décrit la musique, au cœur même de ses pages, dans la coque d’une salle de concert, qui le fait soudainement parce que l’irruption de la musique est soudaine, qu’elle vient après le silence (« seul luxe après les rimes », écrit par ailleurs Mallarmé, « le silence aux après-midi de musique »), et qu’elle envahit l’espace où l’on se trouve avec d’autres, et peut-être à côté d'une femme inconnue. C’est un livre musical, comme sait en écrire Christian Gailly ; ici, tout commence dans une chambre de célibataire, pas vraiment misanthrope mais un peu sale, élimé, que la musique de Mozart va sortir peu à peu de ses habitudes pour lui faire découvrir de nouveaux plaisirs, quelques figures de style, une nouvelle sociabilité, et le faire sortir de lui-même à la fin. Le récit heurté est joyeusement raconté, comme on peine parfois à raconter des évènements qui s’enchaînent, inquiétant peut-être, mais qui finissent bien ; faut-il finir ? Cette fin-là donne envie de recommencer et, peut-être, écouter l'œuvre dont « le chiffre apparaît en bleu » sur la couverture...
Lisons, page 75 : « (…) on fait des histoires, on ne peut pas s’en empêcher, (…) on verra plus loin que l’aventure ne vaut même pas d’être contée. » Et on attend la suite.