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Exit Ghost

Par Thomz

Il y a quelque chose d’étrange dans Exit Ghost, le dernier roman de Philip Roth, qui vient probablement conclure la série des Zuckerman, dont font partie ses romans les plus populaires et notamment la Pastorale Américaine, J’ai épousé un communiste, et La Tâche

Il s’agit peut être d’une certaine forme de malaise dans les premières pages, qui paraissent n’être qu’une redite des préoccupations déjà anciennes de Zuckerman sur sa propre vieillesse, son impotence, et enfin sa mortalité. On y trouve un peu des éléments qui apparaissaient dans les derniers romans de Roth, en particulier Everyman, qu’à mon avis d’ailleurs, Christophe Donner n’a pas réellement compris (voire sa critique – incompréhensible- dans Le Monde 2), tant il en blâme l’âpreté tout en le reprenant sur son usage des figures les plus éculées (pour lui en tout cas), comme si parler de la mort n'était pas un cliché littéraire en soi.

On ne sait pas sur quel pied danser quand on referme le roman. On ne sait pas tellement ce à quoi on vient d’assister. Soit au testament d’un homme vieillissant, tout en ne sachant déterminer s’il s’agit de Zuckerman ou de Roth lui-même, soit au roman de trop d’un homme qui tente d’apporter une (parmi d’autres) pierre finale à son œuvre, et qui ayant conscience de ce geste, laisse traîner des ficelles dans lesquelles il se prend les pieds. A l’aune d’Everyman ce dernier roman pourrait ressembler un agréable bégaiement. Le point de vue est pourtant plus resserré, plus ténu. On retrouve tout ce qui fait la forme première de l’écriture de Roth, c'est-à-dire la digression, toujours maîtrisée, ici très concise, voire parfois artificielle.

L’intérêt premier du roman pourrait en quelque sorte être anthropologique. Roth sent que la fin approche, ou du moins c’est ce que l’on ressent à la lecture. Il n’a rien perdu de son talent de dialoguiste, le satiriste s’en sort avec des égratignures sur les genoux.

Le personnage de Zuckerman, une fois de plus est un nouveau Candide, qui découvre les affres de la politique américaine au moment des élections de 2004 (et d’ailleurs, les attentats su 11/9 sont évoquées dans la toute première phrase du roman), qui fait face à une nouvelle génération littéraire, avide de sang, de sexe et de scandale, une génération de jeunes loups prêts à tout pour se faire entendre, à son exact opposé, lui qui vit retiré de toute actualité, retiré de l’Histoire depuis longtemps. Ce brusque retour à la réalité, parait assez ridicule et sent l’artifice : une impulsion de Zuckerman d’échanger sa paisible retraite avec un appartement en plein Manhattan. L’on a du mal à comprendre cette impulsion autrement que par la nostalgie éprouvée par le personnage. Nostalgie d’un âge dont on réaliste trop tard qu’il n’est plus, qu’il n’a jamais existé. Nostalgie d’une vie passée que l’on tente de reconquérir, et qui se mêle, dans le cas présent, avec une redécouverte de la femme, ce perpétuel objet d’insatisfaction et de mystère, de fantasme, d’amour et de frustration. C’est dans ces moments que l’écriture de Roth se fait la plus déliée, mais c’est aussi là où s’opère la redite avec ses derniers romans. La peur du déclin, et non celle de la mort, est celle de la perte de l’amour physique comme corollaire à l’existence. La vie s’arrête là où le contact charnel n’est plus possible, et pas avec la mort.

Ce fantôme dont il est question dans le titre, c’est à la fois Roth lui-même qui tire sa révérence, sans jamais s’y résoudre, c’est Zuckerman qui prend conscience se sa propre absence au monde, qui ne peut s’y résoudre non plus, et qui commet l’erreur d’y revenir. Pour en partir comme l’ombre de lui-même. Ce fantôme c’est la Littérature, travestie en objet de foire (c’est le sujet d’opposition principal entre Zuckerman et Kliman, figure inversée du vieil écrivain,en sus de la prétendue rivalité amoureuse qui les ferait s’opposer, d’ailleurs assez lourde), une pâture jetée au peuple pour le divertir. Enfin, ce fantôme qui s’éloigne c’est une Amérique qui disparaît, que Zuckerman/Roth ne reconnaît plus, dans laquelle il ne se reconnaît plus, et qu’il ne veut plus reconnaître. Une Amérique qui disparaît, laissant place à un grand vide. Exit Ghost n’est pas pour autant un roman politique, même si Roth revient de manière assez obvie, ce qui ne lui ressemble pas tant que ça, sur la vie politique américaine récente, d’un point de vue assez politiquement correct, dont le côté parodique aurait, semble-t-il, mérité d’être un peu plus appuyé. Le style est toujours là, mais quelque part, le mordant lui aussi, disparaît….


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