Le football camerounais en musique

Publié le 24 mai 2011 par Atango

Musique et football entretiennent un cousinage qui paraît absolument évident lorsqu'on sait qu'il s'agit, dans les deux cas, de spectacle. Et ce n'est pas un hasard si les stades de foot sont souvent utilisés pour des spectacles musicaux, même si, au Cameroun, il faudra attendre d'avoir un stade à la sonorisation suffisamment adaptée à ce genre d'usage.

En attendant, le football camerounais est largement une affaire de musique : des jingles pour émissions dédiées viennent nous installer dans une douce nostalgie. En outre des artistes camerounais et africains ont souvent célébré le football du pays des Lions Indomptables avec talent, et avec une régularité telle qu'on peut quasiment raconter l'histoire du football camerounais en chansons.

Malgré son titre racoleur, la playlist ci-dessous ne prétend pas à une telle exhaustivité. Elle inclut même un intrus. A vous de le trouver.

NB : je signale au lecteur pressé qu'un texte en dessous de la playlist motive brièvement chaque choix.

      

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1. PAM PAM CAMEROON

Au lendemain de la Coupe du Monde 1990, un chanteur jamaïcain, dédie un morceau aux Lions Indomptables. 

Au tournant des années 90, on est plongés en plein délire religieux avec Henri Debs ("Je reviens vers toi, Seigneur"), et on sort à peine du dégoulinant sentimentalisme de "Fille du Soleil" (Guillou). Les amoureux de musiques plus musclées ont eu l'occasion de hurler avec Black Box ("Ride on time"), et Milli Vanilli commence à dater avec son "Girl you know it's true". Le "Bad" de M. Jackson est plus récent, mais il souffre déjà du déclin du break-dance.

Le style reggae dancefloor ne devait déferler sur le mboa que plus tard, avec Chaka Demus et Mister Pliers en 1992 ("Tease me", "Murders she wrote", "Bam Bam") ou Reel to real ("I like to move it").

Macka B arrive donc malheureusement trop tôt, et cette chanson ne sera pas réellement connue au pays, malgré quelques diffusions par Foly Dirane.

2. JUVENTUS

Axel Mouna chante ce méga tube en 1981, en hommage à la Juventus, non pas de Turin, mais de Douala. La mélodie tragique de cette sublime chanson reflète bien l'état d'esprit dans lequel elle fut composée : la Juventus de Douala avait disparu dans un crash d'avion dont je n'ai malheureusement retrouvé ni la date, ni les circonstances. Mais Axel Mouna vit toujours à Douala, où mon lecteur pourra le rencontrer sans trop de peine.

Le début des années 80 au pays, c'est l'âge d'or du makossa. Axel Mouna représente en réalité la fin de la période soft de cette musique camerounaise, qui avait atteint un sommet avec "Ami O" chantée par Bebey Manga sur une composition faite par Ebanda Manfred dans les années 60.

La période "hard" du makossa arrive, plus rythmée et prenant un peu de place aux cordes pour développer les caisses. C'est l'époque de "Dibena" (Toto Guillamue). 

Au pays, on écoute aussi de la musique congolaise, et c'est Sam Mangwana qui enchante les mélomanes avec "Suzanna".

3. NKONO KPWA KUM

"Le chat noir". Tel était le surnom de Thomas Nkono dans sa jeunesse. C'était l'époque où les joueurs de football ne s'expatriaient qu'à la suite d'une solide carrière en Afrique. Le portier camerounais signe ainsi à l'Espanyol en 1982, après avoir remporté 5 titres de champion du Cameroun, deux Ligues des Champions Africaines, un titre de Coupe des Coupes (alors qu'il était prêté au Tonnerre en 1975) et 2 ballons d'or africains.

Il fallait un autre phénomène pour célébrer un joueur de cette envergure. Eboa Lotin, star de la chanson camerounaise, dédie à Tomy ce superbe morceau au lendemain de la Coupe du Monde 1982.

Il y aurait tant de choses à dire sur ce grand poète qu'était le fils du pasteur Lotin A Same. Personnellement, je me souviendrai toujours que j'ai appris son décès dans le taxi qui m'emmenait à l'aéroport, le jour où j'ai quitté le Cameroun. Mais sa musique ne m'a jamais quitté.

4. A SWINGING SAFARI

Bert Kaempfert compose en 1962 ce morceau à l'ADN clairement sud-africain. Culotte de toile, casque colonial et veste saharienne, voilà ce qui vous vient à l'esprit quand vous entendez cette mélodie qui semble vous dire que le lion est mort ce soir. Pour ceux qui ont écouté Radio Cameroun dans les années 70 et 80, cette musique rappelle aussi l'émission sportive du dimanche après-midi, "sur l'ensemble du réseau", avec l'appel des correspondants dans les provinces, et les innombrables problèmes techniques qui bloquaient les reportages. "Allô Garoua, vous avez l'antenne... Garoua ne répond pas, aurons-nous plus de chance avec Bertoua ? Alphonse Ngoubeyou ?..." 

C'était signé !

5. EXCUSE ME PLEASE

Un autre jingle des dimanches de foot sur le poste national. Ah, la torpeur équatoriale des après-midi de chez nous, à l'ombre des vérandas. La radio, curseur positionné sur la bande SW (Short Wave ou en français "Ondes courtes", pour les moins de 20 ans qui n'ont connu que la FM), cherchait laborieusement à garder le contact avec Jean-Marie Watonsi, Joseph Eloundou Ndzié, Jean-Claude Jean-Claude Ndi (il porte vraiment son prénom en doublon), qui nous donnaient des nouvelles du championnat national. 

A moins que ce ne fussent Abel Mbengué et Zakarie Nkwo qui s'apprêtaient à nous faire vivre un match international du Canon, de l'Union ou des Lions Indomptables, et cela avec une passion et une fougue telles que vous aviez l'impression d'être vous-même là-bas, à Conakry, à Kinshasa ou au bout du monde, à batailler contre le Hafia, contre Bilima ou je ne sais quel autre ennemi farouche. Nous n'étions que des enfants, apprenant à peine à lire, mais me croirez-vous si je vous disais que nous comprenions tout, le furieux débit d'Abel, et même la très mélodieuse narration de Zak ? 

Et Hugh Masekela dans tout cela ? Nous ne savions même pas qui c'était. Pourtant, l'ex compagnon de Myriam Makeba, Sud-Africain exilé à New York pendant les années de plomb de l'Apartheid, fut simplement l'un des meilleurs de la scène afro-jazz, et même de la scène jazz tout court.

6. NO MATTER WHAT

C'est la version instrumentale de cette chanson qui accompagnait également l'après-midi de football sur le poste national. La guitare saturée et les drums fiévreux annonçaient à tue-tête le début de l'émission, puis la chanson reculait insensiblement et restait là, meublant en boucle le reste de l'après-midi, comme un décor de fond de scène.

Cette chanson pop-rock apparaît dans l'album "No Dice" édité en 1970 par le groupe anglais Badfinger. Dans le même album figure la chanson "Without you", qui est plus connue.

7. MARC VIVIEN

Le 26 juin 2003, nous étions tous foudroyés par la mort en mondovision de Marc-Vivien Foé. Quoiqu'on en dise, le football camerounais ne s'en est jamais remis. En effet, le pays tout entier demeure orphelin de ce grand monsieur, qui était à la fois un excellent joueur de football et un homme de grande qualité. Lorsqu'on regarde l'équipe actuelle et ses divas surdouées mais qui nous insupportent avec leurs caprices et leurs sautes d'humeur, on se dit que Foé est parti avec le moule. Raison de plus pour que nous le regrettions.

Même si elle n'a été réellement reconnue qu'à la suite du décès tragique de Foé, signalons que c'est à un Marco bien vivant que Racine Sagath dédia cette chanson en 2000.

8. LIONS INDOMPTABLES

Un voyage dans le temps, et retour en 1986. En pleine préparation pour la CAN égyptienne, les Lions Indomptables reçoivent en cadeau cette chanson de Willy Mendo, qui célèbre leurs exploits de la Coupe du Monde 1982 à la victoire de 1984 à Abidjan. Au passage, il relate cette anecdote célèbre : en 1980, le Canon joue la finale de la Ligue des Champions face à Bilima du Zaïre. Au match aller, sur la pelouse synthétique de Garoua, les Zaïrois ont imposé aux Camerounais un nul calamiteux (2-2). Au match retour à Kinshasa, les "Mekok me ngonda"     parviennent à battre le Bilima sur un score de 0-3, dans un stade archicomble et tout acquis à la cause du club local. Les Zaïrois songèrent d'abord à lyncher leurs bourreaux, puis ils se ravisèrent et, admiratifs, déclarèrent "ba na ba Cameroun, ba zalaki sorciers." Faites-vous traduire la phrase par quelqu'un de compétent.

9. ROGER MILLA

Plusieurs chansons ont été dédiées au grand Roger's. Citons le "Bôo Roger Milla" d'Eboa Lotin, l'"Hommage à Roger Milla" de Georges Dickson, et bien d'autres. Signalons aussi que, porté par la vague de 1990, le vieux Lion poussa lui-même la chansonnette et, pour le bonheur de nos oreilles, s'abstint de rééditer cet exploit.

Chacun son métier donc, et Pépé Kallé fait le sien ici avec une grande maestria. Le géant congolais rend hommage au bourreau de Higuita dans une chanson du meilleur soukouss : caisse claire, basse bavarde, morceau rythmé et cadencé pour épuiser n'importe quelle piste de danse en trois minutes. Pépé Kallé n'oublie pas le reste de l'équipe de 1990, et on sent qu'il porte une affection particulière à Cyril Mackanaky. Qui s'en plaindra ? 

Allez, trêve de bavardages, "on ne parle pas avec la bouche là où résonne le tam-tam."

10. PIWAWA

Un autre artiste congolais célèbre les Lions Indomptables dans une de ses chansons. Au moment où Koffi Olomidé chante "les Lions Indomptables, l'Afrique est fière de vous", l'équipe nationale du Cameroun est sans doute au sommet de sa forme et au firmament de sa notoriété en Afrique.

Les Lions Indomptables sortent en effet d'une hallucinante série qui les a vus se faire sacrer champions d'Afrique au Nigéria en 2000 et au Mali en 2002, remporter la médaille d'or olympique en 2000 à Sydney, et ils sont sur le chemin de l'exploit en Coupe des Confédérations, sous la canicule française.

En ce moment précis, la Côte d'Ivoire, l'Egypte et le Ghana sont en plein travail et viendront bientôt nous contester le leadership continental. Mais personne ne le sait encore, et les Lions Indomptables sont l'équipe nationale de l'Afrique. 

Ah, nostalgie...

11. RIGOBERT SONG

C'est dans l'album "Nessy de London", publié en 2000, que le Sénéchal Defao dédie cette chanson au capitaine des Lions Indomptables. Années fastes du football camerounais et de la musique congolaise. Plus tard, on parlera de Samuel Eto'o et de la musique urbaine ivoirienne, et des connexions artistiques s'établiront tout naturellement. Pour l'instant, Defao met tout son poids dans ce morceau très chaloupé, qui tranche quand même avec la fougue féroce du Lion en chef à l'époque. Vous remarquerez que le grand copain, Weah de Yaoundé, alias Waka Waka, n'est jamais loin...

12. BAMBAM BE

Ca, c'est la chanson qui n'a rien à faire dans cette compil'. C'était juste pour m'auto punir d'avoir aimé ce truc quand j'étais gamin. Un grand bravo cependant à Kembe Pesauk qui, avec son label Soyoko et son credo : "let the miracle be", a essayé de réaliser un travail de fond et d'installer durablement une structure dédiée à la promotion artistique : tout ce qu'on déteste chez nous, en somme. C'est cette écurie qui nous a donc donné ces inénarrables Rum-Tah, mais aussi une chanson dédiée aux Lions Indomptables à la veille de la Coupe du Monde 1994 (ou 1998), dont je n'ai malheureusement pas trouvé la trace. De Soyoko est aussi sortie une artiste qu'on a souvent tendance à oublier parce que de grandes douleurs dans sa vie personnelle l'ont éloignées des sunlights, mais dont le talent, déjà fabuleux à l'époque, n'a pas cessé de grandir : Yolande Ambiana.

13. SAGA AFRICA

Ce super-méga-giga tube français a un accent curieusement très camerounais. Normal, Yannick Noah, qui a troqué avec un grand bonheur la raquette de tennis contre le micro de scène, est un enfant du pays, et nous qui l'avons eu en photo pleine page dans notre livre de lecture au CM2, nous savons que sa double culture n'est pas distribuée à 50/50, mais à 100 + 100.

J'ai toujours refusé de traduire à mes amis les paroles prononcées dans "Saga Africa", simplement parce que je préfère les voir danser dessus que me courir après en brandissant un rouleau de pâtissier ou tout autre objet hostile.

Yannick est aussi un amoureux du foot, qui fut branché sur les après-midi sport de Radio Cameroun. En tout cas, la prestation radiophonique qu'il nous livre dans "Saga Africa" est plus vraie que nature. Vous apprécierez au passage l'obom de Milla. Et si un Occidental venait à vous demander ce que cela signifie, dites-lui juste que c'est le "zôlô" et laissez-le se noyer dans sa perplexité.

14. UN'ESTATE ITALIANA

Il y a comme cela des chansons qui vous accompagneront toute votre vie. Cet été italien en est une. Cette chanson est synonyme de victoire, de bonheur et de joie folle. La voix éraillée de Gianna et l'organe plus cristallin d'Edoardo Bennato faisaient vibrer en nous l'excitation de l'exploit futur. A des années-lumières de l'époque actuelle, où nous tremblons de peur face au Sénégal ou même à Maurice.

Ah, la Coupe du monde de 1990... On ne sait même plus qui a remporté le trophée, ni qui a joué la finale. Cette compétition fut camerounaise, et la chanson de Gianna Nannini fait partie du patrimoine musical national : tous les gamins la chantaient dans le texte, sans rien comprendre des paroles, mais est-ce grave ?

Pendant un mois, elle a résonné sur tous les téléviseurs du Cameroun, dans tous les salons archibondés, par toutes les fenêtres ouvertes au soleil équatorial, et elle annonçait à chaque fois un nouvel exploit de la bande à Milla. Elle a sonné pour Argentine-Cameroun le 8 juin à Milan (eh oui). Elle a résonné pour Cameroun-Roumanie le 14 à Bari. Elle a triomphé avant Cameroun-Colombie le 23 à Naples. Et elle a rythmé le match Angleterre-Cameroun le 1er juillet, à Naples toujours. Pour nous, ce match fut le dernier de la compétition. Ce fut d'ailleurs le dernier match de toutes les Coupes du monde.

15. WHEN THE GOING GETS TOUGH, THE TOUGH GETS GOING

Quand les choses vont mal, les durs s'en sortent. Lorsque le Trinidadien Billy Ocean compose cette chanson en 1986, il le fait pour la bande originale du film "Les diamants du Nil." Mais il ne sait pas qu'il vient de donner aux Camerounais le jingle le plus mythique pour l'émission de foot la plus culte sur la CRTV : Fou fou foot. 

Les éructations de la synthé et le flow de basse qui les suit sonnaient en effet le rassemblement dans le salon car, oui, au Cameroun le foot est une religion. Le grand prêtre de la cérémonie à l'époque s'appelait Jean-Lambert Nang, et les serveurs du culte étaient Linus Pascal Fouda et Pierre Lebon Elanga.

Nous ne savions pas encore que la CRTV était en interne un sacré panier de crabes, et nous ne voulions pas le savoir. C'est l'émission Fou fou foot qui nous permettait de voir quelques extraits des matches des championnats européens. C'est aussi cette émission qui, petit à petit, s'est efforcée d'apporter un regard critique sur notre football, dans un esprit constructif. 

Depuis, les compères des débuts ont prit des chemins bien différents, et j'ai l'impression que tout est parti en capilotade.

A moins que ce ne soit moi qui aie vieilli...