Les meilleures guerres ont une fin

Publié le 24 mai 2011 par Melusine

Devinez qui ?  Le nom du peintre : Saïf al-Islam Khadafi, né le 25 juin 1972 - ce qui en fait mon frère de signe !, - fils du dictateur libyen Mouammar Khadafi. Qui est Saïf al-Islam ? Un noceur habitué de la jet-set, un artiste dilettante, mais aussi, peut-être, l'homme de la situation. C'est du moins ce que pense, comme moi, Benjamin Barber du "thinktank" américain Demos. Je traduis ci-après son article publié dans The Guardian le 13 avril 2011 sous le titre : "Oui, Saïf est un Khadafi. Mais il y a encore un vrai réformateur en lui". Pour le début des événements :  Joyeux bombardements sur Tripoli !

Sous la tente

Le fils du dictateur est écartelé entre sa famille et la démocratie. Pour le bien de la Libye, nous devons faire confiance à sa meilleure part. (Benjamin Barber)

Les attaques, compréhensibles quoique outrées, portées contre Saïf Khadafi après qu'il ait proclamé son adhésion à son père, à son clan et au régime de Tripoli dès le début de l'insurrection, ont compliqué considérablement la voie diplomatique en Libye. Ceux d'entre nous qui disaient il y a six semaines que Mouammar Khadafi serait dur à renverser, que le résultat le plus probable du soulèvement serait une longue guerre civile et tribale et une impasse coûteuse en vies humaines n'étaient pas écoutés car soupçonnés de vouloir ce qu'ils prédisaient. Pourtant nos prédictions se sont révélées bien plus pertinentes que celles des naïfs exubérants qui prétendaient que Tripoli était un nouveau Caire et que la démocratie était à portée de main.

Maintenant que les espoirs fantasques se sont dissipés, et qu'il est devenu clair qu'il y a des fissures au sein du clan Khadafi lui-même, tandis que le président sud-africain Zuma recherche une issue pacifique et que le parti français de la guerre commence à se calmer, il y a une ouverture. Mais elle implique de recourir à Saïf Khadafi, tout en reconnaissant qu'il n'y aura pas de solution militaire au conflit et qu'un retour à une partition de la Libye entre Cyrénaïque et Tripolitaine d'avant 1934 n'est ni possible, ni souhaitable.

Le défi

Mais peut-on faire confiance à Saïf ? Les médias préfèrent les héros ou les méchants, mais Saïf tient des deux à la fois, et donc n'est ni l'un ni l'autre. Comme la plupart des protagonistes de moments historiques décisifs, c'est un homme partagé, écartelé entre ses années de travail au service d'une réforme authentique, pour laquelle il a parfois pris des risques, et les attaches du clan et les loyautés familiales qui le lient à une famille que caractérisent la tyrannie politique et la loi d'un chef et père autocratique.

Il y a tout juste six ans, Saïf terminait son manifeste - publié aux Oxford University Press - appelant de ses vœux une société civile et une démocratie participative en Libye. Il exprimait l'engagement d'abandonner "le gouvernement héréditaire, les coutumes familiales, la loi martiale, la culture tribale, l'absence de constitution et d'état de droit" au profit d'une Libye définie par "des institutions politiques stables et un code de lois établi". Il citait non sans audace l'insurgé anglais John Bradshaw qui proclamait au XVIIe siècle : "Se rebeller contre les tyrans c'est obéir à Dieu", ajoutant de lui-même : "Je crois du devoir des peuples de se rebeller contre la tyrannie".

Cela résonne aujourd'hui comme une grossière hypocrisie compte tenu de ce qui vient d'arriver en Libye à ceux qui se sont soulevés contre la tyrannie. Pourtant, les prétentions de Saïf à être un réformateur ne se fondent pas que sur ses écrits. Car il a autrefois joué en rôle dans l'entrée au gouvernement de deux hommes qui sont aujourd'hui des figures éminentes de l'opposition. Mahmoud Gibril a rejoint l'équipe de Saïf travaillant sur le développement économique, avant de devenir l'un des ministres de Khadafi, tandis que Abdul Jalil, de Baïda à l'Est (où la mère de Saïf a vécu), a rejoint le gouvernement en tant que ministre de la justice honnête et indépendant, en partie sur recommandation de Saïf.

Lumière lointaine

Et puis il y a la fondation de Saïf à la direction internationale de laquelle j'ai travaillé avant de donner ma démission en guise de protestation au début du soulèvement. La fondation a fait du travail sérieux sur la question des droits de l'homme, la liberté des médias et d'Internet, la société civile, et pour la réhabilitation des combattants islamistes détenus dans les prisons libyenne. Sa nécessité avait été clairement exposée par Saïf lui-même au cours d'un remarquable exposé devant le Congrès national libyen de la jeunesse en 2006, où il déclara : "Nous n'avons pas de liberté de la presse. Nous n'avons pas de presse du tout en Libye. Nous nous mentons à nous-mêmes quand nous prétendons le contraire. La Libye a-t-elle vraiment une autorité populaire et la démocratie directe ? Chacun de vous sait que le système démocratique de nos rêves n'existe pas au royaume du réel." Du mauvais côté de la liberté désormais, Saïf continue pourtant à travailler à la libération de journalistes emprisonnés et à tempérer la violence de ses frères engagés, Mutassim, chef de la Sécurité, et Khamis, à la tête de brigades de la mort.

L'année dernière encore la Fondation Carnegie pour la paix internationale écrivait : "Durant la majeure part de la dernière décennie, le fils de Khadafi, Saïf, le visage public de la réforme en faveur des droits de l'homme en Libye et la Fondation Khadafi, la seule adresse où adresser les plaintes pour torture, détention arbitraire et disparitions".

Rien de tout cela n'excuse les actions abominables de Saïf dans la crise actuelle, mais cela suggère qu'il vaut la peine de poursuivre une action diplomatique discrète à la recherche d'une voie de sortie à la violence et à la guerre civile d'aujourd'hui. Après tout, Saïf a bien décliné un poste à responsabilités dans le gouvernement, disant qu'il n'accepterait jamais une fonction non sanctionnée par des élections libres. Tout rôle maintenant serait transitoire, pour assurer une transition le temps que son père se retire et que les précédentes réformes constitutionnelles de Saïf puissent se poursuivre vers des élections libres. En l'absence d'un rôle pour Saïf, ni lui ni sa famille n'ont d'autre issue - comme Saïf l'a dit si solennellement il y a quelques semaines - que de "vivre ou mourir en Libye", en combattant pour conserver l'hégémonie tribale de la famille.

Saïf a perdu la faveur et la confiance qu'il avait acquises ces cinq dernières années. La seule façon dont il puisse prouver sa bonne foi est de mettre fin à cette violente guerre civile et de superviser une transition pacifique et démocratique qui serait marquée par un retrait par le retrait de son père de toute activité dans le gouvernement du pays. Je persiste à croire que parmi les voix contradictoires qui se disputent l'esprit torturé de Saïf, il y a celle d'un authentique démocrate et d'un patriote libyen. Mais d'autres doivent ouvrir une issue pour que Saïf puisse, s'il le veut bien, l'emprunter et redevenir le réformateur qu'il a cessé d'être avec les conséquences terribles que l'on sait pour lui-même et pour son pays.

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Aux propos de Monsieur Barber, j'ajouterai que Saïf appartient par sa mère à la tribu des Barasa, cf. Bernard Lugan : L'alchimie tribale libyenne, qui est au cœur de l'insurrection anti-Khadafi, ce qui là encore fait de lui un intermédiaire idéal. Si Dieu lui prête vie.

Souvenirs de la matière

Les illustrations sont des œuvres de Saïf al-Islam soi-même présentées à l'exposition "Le désert n'est pas silence" à Sao Paulo au Brésil en 2010 (après Moscou, Londres et Paris - Institut du Monde arabe en 2002) et, ma foi, n'ont rien à envier à certains grands noms de l'art contemporain, dans un style qu'on pourrait définir comme un surréalisme du désert...