Ce Track Outback race nous a en effet permis une bonne plongée dans l'Australie "profonde", celle des aborigènes et surtout celle des terres sauvages et préservées, une "wilderness" de pierres rouges et de végétations sèche qui ne laisse pas de surprendre. Un terrain tout de même hostile qui nous a réservé des conditions de course et de récupération pour le moins rustiques, ce qui a conféré à cette épreuve une difficulté bien marquée. Je vous livre ici un premier récit qui sera complété par la suite par d'autres publications et images, les articles dans la presse spécialisés arriveront bientôt.
Le site du départ est particulièrement beau: une piscine naturelle encerclée de rochers et de collines, que nous parcourront donc pour les deux premières étapes qui s'annoncent particulièrement vallonnées à travers le Laparenta Trail, un des chemins de randonnée de l'Outback. En attendant nous faisons une petite séance photo en situation avec Christophe, Charlie, Nicolas et Démétrio, tant que nos affaires sont propres...
Le lendemain, les affaires sérieuses commencent: le parcours se révèle particulièrement technique sur ce petit chemin, parfois difficile à suivre tant il se perd entre les roches et les herbes. Je pars assez vite, essayant un temps de suivre Christophe et Calvo, un redoutable athlète espagnol. Je dois les laisser filer mais les garde en vue pendant longtemps. Ca va pas mal jusqu'à un croisement à environ dix kilomètres de l'arrivée où trompé par le road book et par Calvo je prend bêtement la mauvaise direction. Je perds de précieuses minutes et pas mal d'énergie pour revenir sur mes pas en compagnie de Jo, un coureur néo-zélandais très sympa, à l'immense gabarit et de grande expérience (il a 59 ans dont une trentaine de course à pied...). Cette péripétie m'a bien fatigué et il va falloir que je récupère. Le bivouac proposé n'est pas, de ce point de vue, l'idéal: les tentes sont un peu justes pour deux et heureusement que nous organisons bien avec Karim pour utiliser au mieux l'espace de la notre. Sinon nous réchauffons nos premiers plats lyophilisés autour d'un feu collectif qui sera le point de ralliement des coureurs durant ces soirées fraîches dans l'outback. L'équipe de bénévoles et médicales, composée en partie de jeunes venus passés un an en Australie comme travailleur itinérants, nous distribue nos 2 litres d'eau. Ils seront tout au long de l'épreuve très sympas et attentionnés. C'est bien entendu Christophe Le Saux qui a dominé cette étape, l'espagnol Calvo ayant tout comme moi perdu pas mal de temps en se fourvoyant. Il termine cependant l'étape comme un boulet de canon, furieux.
Après une nuit à nouveau un peu agité et fraîche, nous prenons le départ de la deuxième étape, qui suit encore le Laperanta trail, mais cette fois sur 45 kilomètres. Les premiers kilomètres sont très techniques et nous entraînent sur des collines rocheuses. Le dénivelé, si il n'est jamais très important d'un coup, est tout de même conséquent. Nous franchissons un premier canyon et après quelques altermoiements pour trouver le bon chemin, nous formons un petit groupe avec l'australien Andrew, un coureur de 53 ans très affûté, mon nouvel ami néo-zélandais et l'espagnol Francisco Teres Costa. Nous perdons à nouveau le bon chemin un instant dans un deuxième canyon avant de le retrouver pour une grimpette bien raide qui nous mène au premier CP.
A partir de là nous entamons un chemin de crête où le sol est encore très rocailleux, de ces roches très coupantes où il ne faut pas mettre un mauvais appui. Avec mes chaussures très légères, qui ont pour avantage de ne pas amplifier ma bursite, je fais attention. La route est encore longue. Je laisse partir mes compagnons et termine l'étape tranquillement, en profitant du paysage. Si il n'est pas encore totalement celui que j'attendais en Australie il est tout de même intéressant, une succession de collines rocheuses et de lits de rivières.
C'est justement par un de ces lits que nous terminons l'étape, dans le sable et les galets. C'est très long. J'arrive en 6e position après tout de même 6h30 de course! Certes les sacs sont lourds mais nous avons couru presque tout le temps... Le campement est agréable ce soir, puisqu'il est au bord de la rivière et que le sol est sableux et donc plus moelleux pour y dormir. Nombreux seront ceux qui ne rentreront pas avant les 10h prévues. Certains rentrent en 4x4 et Cécile terminera dans la nuit, après s'être égaré. Les organisateurs rectifieront le tir en accordant des horaires plus larges et une possibilité pour ceux qui n'ont pas pu faire tout le parcours de courir les autres étapes et d'être classé aux kilomètres parcourus. Le terrain se révèle plus difficile que prévu.
Pour la 3e étape, nous quittons ces montagnes et nous enfonçons vraiment dans le "bush". La végétation se fait un peu plus dense et le relief est plus plat. Nous courons sur des pistes qui ne sont cependant pas très roulantes: beaucoup de cailloux encore et des portions sableuses. Je pars à un bon train, laissant filer Christophe, Calvo et Andrew qui semblent assez nettement au-dessus du lot, et me retrouve à bavarder avec Jo. Après le 2e CP (ils sont situés à peu près tous les 20kms) il s'arrête soudainement et me dit d'y aller. Je continue donc mon chemin souvent à travers une végétation assez dense et "piquante": le chemin que nous empruntons est tout juste débroussaillé; nous sommes sur des terres aborigènes et personne n'était passé là depuis plus de deux ans. Bienvenue dans l'Outback, le vrai...
Les 15 derniers kilomètres nous font retrouver une large piste et courir sur d'interminables lignes droite. Xesc, c'est le surnom de Francisco, m'y rejoins et nous terminons ensemble cette étape. 63 kilomètres au compteur tout de même.
Le lendemain nous reprenons la même piste, passons devant le seul village que nous rencontrerons durant ces 520 kms, avant d'entrer dans le lit d'une rivière que nous n'allons guère quitter durant les trois prochaines étapes. Là, les choses ont plutôt tendance à se corser encore: le terrain, fait d'une alternance de galets bien durs et de sables bien mous, est vraiment difficile à négocier; impossible d'y imprimer un bon rythme, en tous cas pour moi. Les fréquents passages de rivière pimente le tout. Les pieds souffrent, la tête aussi malgré un décor très agréable. Je cours un moment avec Francisco puis c'est Démétrio, un coureur également très expérimenté (triathlète depuis 25 ans, vainqueur de 100 miles et de la 333...) qui me rejoint. Nous faisons alors route commune jusqu'à l'arrivée, située là aussi dans un très bel endroit, pas loin de l'eau. Une nouvelle fois, les arrivées s'échelonnent sur une longue durée. Certains n'ont pas pu terminer l'étape. Christophe est toujours en tête, parfaitement à l'aise. Il se contente de rester avec Calvo mais semble largement le plus frais.
Devant l'état de fatigue d'une bonne partie du peloton, l'étape suivante est raccourcie. Personne ne s'en plaint. Nous parcourons ainsi 40 kilomètres plutôt éprouvant, sur le même lit de rivière qu'hier. Devant, les mêmes prennent leurs places désormais habituelles. Seul Karim Mosta semble plus alerte que les autres jours et pars devant Démétrio et moi. Je termine l'étape à nouveau en sa compagnie. Le bivouac est un peu moins sympa qu'hier mais comme nous récupérons nos sacs de nourritures de la mi-course et que l'étape de demain n'est finalement que de 17 kilomètres l'ambiance est plus détendue qu'à l'habitude et nous veillerons un peu plus tard.
Ces 17 kilomètres de pistes nous ferons du bien: juste 1h et demi d'effort, ça repose un peu. Le sac est à nouveau lourd mais bon cela passe vite. On ne peut pas dire non plus que les sensations soient très bonnes. Le sol est un peu plus facile, moins de sable. L'occasion aussi de mieux regarder le paysage qui est vraiment typique de "l'Australie rouge", sa couleur si caractéristique et sa végétation éparse. Nous croisons aussi quelques troupeaux qui viennent compléter la collection de chevaux sauvages que j'ai déjà aperçu. Dans l'ensemble du parcours nous ne croiserons finalement que très peu de bêtes et de gens, exception faite bien entendu des milliards de mouches qui nous suivent toute la journée et des petites souris qui s'infiltrent jusque dans nos sacs pour grignoter, à la grande peur de Karim qui les appelle les "envahisseurs".
Je termine une nouvelle fois l'étape avec Démétrio. Cette fois tout le peloton a bouclé sans problème l'étape. Nous allons donc pouvoir récupérer un peu plus avant d'aborder les trois dernières étapes qui s'annoncent rudes: 63, 61 et le bouquet final de 130 kilomètre qui effraie un peu tout le monde. Le sol promet cependant d'être un peu plus roulant mais...
Les jambes commencent à être dures et la fatigue présente mais je décide de faire l'étape à fond et repars un peu plus vite en compagnie de Xesc. Je le laisse ensuite filer mais m'accroche à mon rythme. Nous traversons un paysage de savane qui me plait bien. La piste n'est cependant pas roulante: encore beaucoup de roches parfois difficile à négocier, de la végétation et surtout beaucoup de sable où les appuis s'affessent inexorablement. Juste après le CP 3 je rencontre enfin mon premier kangourou: tout de même! J'aurai bien échanger ses tendons contre les miens et bondir jusqu'à l'arrivée mais je dois me contenter de mes propres moyens. J'arrive cependant à trottiner jusqu’au bout, 7h20 d'efforts. Christophe a une nouvelle fois remporté l'étape. Charlie et Démétrio arrivent une trentaine de minutes derrière moi alors que Karim, qui s'est égaré, perd pas mal de temps. Pour les autres la course dure longtemps et les derniers arrivent courageusement dans la nuit.
Le lendemain le décor est assez comparable. Par contre ma motivation est beaucoup moins forte et je ne prend vraiment aucun plaisir. Je pense toute la journée à l'immense dessert qui nous attend pour la dernière étape. J'essaie tout au long de ces 60 kilomètres d'accrocher le train très -trop pour moi- régulier maintenu de concert par Démétrio et Charlie qui après un départ prudent termine cette Track survolté. Dans les ultimes kilomètres je dois même les laisser filer. Pas vraiment brillant mais bon j'accuse un peu la fatigue et j'en ai un peu marre. Karim a attaqué fort pour essayer de rattraper son retard de la veille. C'est tout de même un sacré compétiteur. Le bivouac est à peu près aussi peu accueillant que celui de la veille, au milieu de nulle part et sur un sol dur et caillouteux. Pas l'idéal pour récupérer avant une dernière étape qui s'annonce dantesque mais il faut faire avec.
C'est donc le grand jour ce 22 mai que nous allons parcourir la plus longue étape jamais proposée dans une course de ce type: 130 kilomètres, en grosse majorité sur les immenses lignes droites de route qui conduisent à Uluru, le fameux monolythe posé au centre de l'Australie, à travers le bush. Un décor assez monotone où il faut un mental d'acier pour continuer à avancer. Cela donne à la course un air de badwater, Francisco qui a déjà participé à cette épreuve le confirmera. "sauf que c'est plus dur car là on a pas d'assistance, un sac et déjà 400 kilomètres dans les jambes" précise t il.
Le soleil aussi est digne de la Badwater. Pas de chance, nous tombons sur le jour le plus chaud dans cette dernière étape. Je pars vite, la motivation étant revenue, faisant les 30 premiers kilomètres sur la piste en compagnie de Christophe et de Calvo. Nous discutons avec Christophe tandis que Calvo semble concentré sur sa course.Après le 2e CP je dois me résoudre à les laisser filer et je commence à accuser sérieusement le coup. Encore une fois, le soleil carnassier me joue des tours. Coup de chaud. Je zigzague un peu sur la route quand Xesc et Andrew, qui cours ensembles, me doublent. J'atteins en piteuse état le 3e CP, installé sur une station service, premier signe de civilisation depuis longtemps. J'y achète à un tarif absolument scandaleux quelques boissons et repars pas bien gaillard. Karim, qui a l'air en forme, me dépasse et j'ai du mal à finir de rattraper nos amis coréens partis 4 heures avant nous. J'alterne course et marche pour essayer de me remettre de coup de chaud. Revenu sur la route, pour les 80 prochains kilomètres, j'essaie de me remettre à trottiner tout le temps. Il fait vraiment très chaud et mon rythme n'est pas brillant. Les kilomètres s'étirent. Seule distraction pour échapper à mes pensées, un coureur au loin. C'est Peter, l'australien parti avec la première vague. Je finis par le rattraper et nous bavardons un instant. Le prochain CP se rapproche tout de même. Ca va un peu mieux.
Au CP, je retrouve François et Marie, un jeune couple de normand bien sympa, qui me renseignent sur les positions. J'aperçois en repartant Charlie et Démétrio qui arrivent. La nuit va bientôt tomber: tant mieux, il fera moins chaud et les lignes droites seront moins interminables. Le clair de lune permet en plus de courir sans lampe. J'allume aussi mon baladeur pour échapper un peu à mes pensées, à la souffrance et me réfugier dans la musique. Je suis tout de même bien entamé par ce coup de chaud et certainement bien déshydraté. Quand les deux compères me rattrapent je ne sais pas trop comment je parviens à rester avec eux. Nous parvenons ensembles à l'avant dernier CP. Déjà 93 km de parcouru, la nuit est là. Je suis dans un état assez lamentable. Christelle, l'infirmière, me donne une capsule de réhydratation qui va me sauver, en plus du Red Bull que j'avais gardé en réserve.
Un peu regonflé, et au son entraînant de Iron Maiden, j'accélère à nouveau un peu et me retrouve de nouveau seul, Charlie et Démétrio conservant leur allure. Les arbres au bord de la route dessine des formes fantasmagoriques, j'ai parfois un peu l'impression de courir dans un rêve, notamment en raison du caractère répétitif du geste sur ces immenses étendues. Un dernier CP puis une longue, très longue route encore jusqu'à l'ultime croisement qui nous fait reprendre une piste en latérite. L'arrivée n'est pas loin, 3 kilomètres me dit Christophe le médecin posté là. J'accélère donc, jette mes dernières forces dans la bataille et arrive complètement épuisé sur la ligne d'arrivée. J'y retrouve Christophe, qui a gagné comme prévu, Xesc arrivé 3e avec Andrew et Karim qui vient juste d'arriver. Les premières minutes de récupération sont bien difficiles. Je termine donc 5e de cette Track, en 60h juste. Une prestation ni mauvaise ni bonne, ça aurait pu être pire ou mieux et ce n'est de toutes façons pas très grave.
Nous attendons ensuite de longues heures les derniers, qui arrivent sous le coup de midi. L'émotion est bien au rendez-vous lorsque nous accompagnons Youcef, le koweitien qui court avec une cheville bien amochée depuis plusieurs jours, vers la ligne, drapeau national bien en vue.
Oubliés les heures passées sur la route, les cailloux et le sable difficile à négocier, les bivouacs des plus rustiques et le manque relatif de nourriture et d'hygiène: au bout de ces 520 kilomètres, au pied d'Uluru, nous avons tous le sentiment d'avoir été un peu des défricheurs dans l'Outback, en tous cas les pionniers de la plus longue course en autonomie alimentaire du globe.