Que les présidents américains après 1945 aient été en mesure d’énoncer une série de « doctrines » américaines pour aider à mobiliser le soutien étranger et interne à la politique américaine au Moyen-Orient reflète une réalité dans laquelle Washington (motivé par la pression de la guerre froide et du conflit israélo-arabe) avançait un ensemble d’objectifs stratégiques qui semblaient être alignés avec les intérêts et les valeurs américaines.
Les « bons » méritant protection et soutien des États-Unis étaient les régimes arabes «modérés» qui soutenaient les intérêts américains (et occidentaux), ouvrant l’accès aux ressources pétrolières de la région et cherchant une certaine forme de coexistence avec Israël. Dans ce contexte, il est important de se rappeler que jusqu’à ce que l’administration du président George W. Bush avance son « Freedom Agenda », aucune administration n’a déclaré que la diffusion de la démocratie était un intérêt crucial des États-Unis dans la région.
Le bouleversement politique actuel au Moyen-Orient n’est que le dernier et le plus spectaculaire d’une série de changements qui ont transformé la région depuis la fin de la guerre froide et qui font qu’il est plus difficile pour n’importe quel président des États-Unis de définir un ensemble de principes qui pourraient guider une politique dans une région du monde qui a attiré le plus de ressources militaires et économiques américaines.
En effet, le discours d’Obama a permis de démontrer l’échec de la part du président, d’autres officiels et du législateur, à fournir une justification claire de l’intervention américaine au Moyen-Orient. Ainsi, Obama a essayé de dessiner le contour d’un récit révisionniste dans lequel les objectifs des soulèvements en Egypte et la Tunisie étaient alignés sur les intérêts et les valeurs des États-Unis, en dépit du fait que les manifestants dans ces pays ont fini par évincer du pouvoir d’ardents alliés pro-américains.
Et tandis que la plupart des Américains applaudiraient sans doute l’appel d’Obama pour la protection des droits individuels, la liberté de religion, l’émancipation des femmes, et la promotion du libre marché en Egypte et d’autres pays arabes, il n’y a aucune indication que la majorité des personnes qui sont à l’origine du changement dans ces pays appuient ces principes.
D’ailleurs, à en croire les résultats de plusieurs sondages d’opinion réalisés au Moyen-Orient, les gouvernements arabes qui seront plus sensibles aux aspirations de leur peuple vont probablement être moins enclins à se diriger dans la direction fixée par Obama et adopteront des politiques qui seront moins favorables aux intérêts des États-Unis et d’Israël. Réaffirmer, comme Obama dans son discours, que l’effondrement des régimes autoritaires dans la région ne doit pas conduire à des guerres civiles entre les groupes religieux et ethniques sonne évidemment juste. Mais l’expérience de l’Irak, sans parler du Liban, suggère le contraire, d’autant plus que la lutte entre sunnites et chiites semble exploser à Bahreïn et dans le reste du golfe Persique.
Et tandis que dans les politiques américaines en Irak sont en train d’aider à mettre en place un gouvernement à majorité chiite ayant des liens avec l’Iran, à Bahreïn Washington appuie les Saoudiens dans leurs efforts pour réprimer une révolte chiite soutenue par l’Iran. En fait, l’alliance entre les Etats-Unis et la théocratie saoudienne, moins démocratique que la Syrie, plus corrompue que la Libye, pourvoyeuse de valeurs islamiques radicales, où les femmes et les non-musulmans n’ont pas de droits politiques et autres, ridiculise tout ce que M. Obama a pu dire dans son discours.
En outre, ce discours a également souligné ce qui pourrait être interprété comme un paradoxe : plus les engagements militaires et financiers américains au Moyen-Orient augmentent, plus les États-Unis deviennent marginalisés dans le processus. En effet, contrairement aux espoirs énoncés par certains Arabes et Israéliens, le discours d’Obama ne constituait pas un genre de changement de donne qui pourrait ramener à la vie le processus de paix israélo-palestinien. L’administration Obama ne peut pas faire grand’ chose pour changer le statu quo en Israël / Palestine. Pourquoi prétendre le contraire?
Eh bien, peut-être parce qu’Obama estime qu’il n’a pas d’autre choix que de continuer à « se débrouiller » au Moyen-Orient, d’où les États-Unis ne seront pas en mesure de se sortir de sitôt. D’où la réponse décousue d’Obama aux bouleversements dans le monde arabe : soutenir à contrecœur les soulèvements en Tunisie et en Egypte, offrir un appui limité et sans enthousiasme à l’action militaire en Libye, adopter une attitude nuancée à l’agitation à Bahreïn, et donner tort aux partisans et opposants à Washington et dans le Moyen-Orient, qui ont tendance à projeter sur lui fantasmes (artisan de la paix) ou cauchemars (anti-israélien).
Cela peut ne pas être une doctrine. Mais ce n’est pas si mal si l’on considère que son prédécesseur en avait une. Avec une farouche détermination, nécessaire pour vaincre dans un combat idéologique, George W. Bush a vu le monde à travers le prisme d’une grande idée (la lutte entre le Bien et le Mal ) et a essayé de l’imposer sur une réalité complexe en Irak, où les identités ethniques et religieuses primaient sur les notions de démocratie et de libéralisme.
Félicitons Obama : il a reconnu que ce qui se passe au Moyen-Orient ne suit ni le modèle de l’Iran en 1979 (islam radical), ni de l’Europe de l’Est en 1989 (la démocratie libérale), mais pourrait au contraire générer un méli-mélo de changements qui ne collent pas dans un modèle linéaire et cohérent. Mais à un moment donné, les coûts de son improvisation et de ses réponses accommodantes aux développements dans la région pourraient s’avérer trop élevés à long terme.
(Article de Leon Hadar, analyste au Cato Institute à Washingto, repris avec l’aimable autorisation du blog UnMondeLibre.org)