Pohol
Pohol se croit damné, il craint dieu tout autant que le diable, mais dieu, malgré les tentatives de Pohol pour le servir, le rejette, reste le diable, reste la vie. Pohol se transforme en dandy, il va profiter du temps qui lui reste avant l'éternelle damnation, s'étourdir un « rire de rage » aux lèvres, pour oublier l'idée noire. L'amour, la découverte d'une femme-ange dans le cimetière du Père-Lachaise, la trahison d'une femme-démon, le suicide, le meurtre, et l'exécution de Pohol mettront fin à ce qui ressemble bien à un roman noir. Pohol parut en feuilleton, dans le journal le Sémaphore de Marseille, pourtant ici pas de situations complexes, de descriptions horrifiques, l'auteur non seulement ne tire pas à la ligne, mais élague. Les feuilletonistes de profession eurent, avec les données de Pohol, fabriqué un roman de trois cent pages, Marc Michel en tire une trentaine.
"L'Homme pressé du romantisme", le titre s'est imposé, à la lecture de ce court roman, devant cette écriture rapide, ces raccourcis, ces questions au lecteur, ces injonctions. Encore faudrait-il expliquer pourquoi ce style, pourquoi cette formule sans descriptions, pourquoi ces quelques traits rapidement jetés sur la feuille comme pour une caricature, un croquis ou une esquisse. Il ne s'agit pourtant pas de parodie, l'auteur se dit lui-même romantique et défend l'école contre les classiques, s'il ironise, il ne se moque pas. Pohol est un type, et son histoire une charpente où le lecteur, supposé habitué du feuilleton, doit remplir les vides marqués dans le texte par les trois petits points qui le troue si souvent, c'est dans ces espaces que le décor s'imagine, que les dialogues doivent s'entendre. L'auteur nous y invite : « Oh ! Je ne vous le dis point ; car cela ne peut se dire ! Comprenez donc, ou brûlez ceci. », mais l'auteur ne doute pas être compris, et le confirme lorsqu'il termine un chapitre ou une phrase par un sec « Vous savez. ». Parfois l'intrigue pourrait freiner la rapidité de narration, compliquer la situation, un personnage entraîner explications et dialogues, l'auteur alors s'en désintéresse : « Marie est là qui pleure... Pohol est à quelques pas d'elle ; il la regarde et rêve son beau rêve ! Je ne sais si l'autre femme... n'importe. La nuit venait » L'autre femme importe peu, nous savons qu'elle jalouse Marie, qu'elle surveille Pohol, qu'importe qu'elle soit là, qu'importe ce qu'elle pense, nous le devinons et l'action doit continuer, « La nuit venait ».
Armature de roman, histoire menait frénétiquement, Pohol serait-il pas un plaidoyer pour le romantisme contre le préjugé des classiques ? Ou une pochade toute d'ironie, mettant en scène les « Pohol du jour » qu'il faudrait envoyés à Bicêtre ? Les cinq apostilles publiées à la suite de la réédition de l'Histoire de 1829 ne confirment ni n'infirment les deux thèses. Marc Michel est subtil, il ne tranche pas et laisse le lecteur, une fois de plus, prendre position.
Pohol ne rempli pas seul ce volume, son histoire est suivi de textes de jeunesse, pour la plupart signés le Scribomane Job. Une élégie pour un amour perdu avec pour décor Notre-Dame de la Garde. Un savoureux texte sur la « misophilantropie » de Philarète, un ami paradoxal et insupportable. Un poème où se questionne une coquette. Dans Une Idée, le scribomane, se comparant aux auteurs contemporains, désespère de terminer ses oeuvres, de concrétiser ses projets d'écriture et lance un concours pour trouver dans les oeuvres publiées « une allusion politique, ou une immoralité assez sérieuses pour les faire défendre par ordre ». De la Revue de France, on trouve encore ici le poème d'une nuit de fièvre et un autre à la gloire d'A. De Vigny. Le volume se termine sur une courte pièce sur Les habitués de la cours d'Assise.
Après deux romans d'André Laurie, les actes du colloque du centenaire Paschal Grousset, la collection complète de l'Alambic, et un roman de Conan Doyle, Des Barbares... nous fait découvrir le marseillais Marc Michel (1812-1868), et la surprise est bonne, Pohol marqué du signe d'Ananké, et son auteur au style si particulier nous emballent. Le livre est présenté et annoté par Eric Dussert, connu dans la blogosphère pour être le Préfet maritime de son île de l'Alamblog.
Marc Michel : Pohol et autres textes terribles (inédits). Préface d'Eric Dussert. Couverture illustrée de deux photographies de Christèle Jacob. — Paris, Des Barbares..., 1er juin 2011, 15 x 23 cm, 112 pages.
16 € (franco de port jusqu'au 1er juin 2011). Les chèques sont à libeller à l'ordre d'Eric Dussert 29, rue du Borrégo 75020 Paris.
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