Dès le lycée, j’étais en fait,
Une manière de poète
Mais je ne publiais pas.
Après le bac français,
De nouveau, j’essayais.
Cela ne réussit pas.
J’avais écrit un volume de vers,
Sans en vendre un exemplaire.
Je commis ensuite une revue
Qui ne fut jamais lue.
Puis, je devins amoureux d’Eva.
Ma passion, je ne la conterai pas.
Elle avait les traits fins,
Les yeux bleus, le nez aquilin
Et des dents diamantines.
Cela eut fait une belle vitrine !
Nous fûmes bientôt mariés.
Que je fus romancier,
Elle n’avait cure.
Elle ne pensait qu’aux affaires
Prospères,
Celles qui procurent
Bonheur et argent.
J’achetai donc à Nogent
La Librairie des Mousquetaires.
Le magasin devint salon littéraire.
Les lettrés y causaient
Poésie, politique. On glosait.
Ma femme dirigeait la vente.
Moi, dans une pièce attenante,
J’écrivais un nouveau roman.
Nos habitués étaient Froment
Un grand garçon,
Un beau garçon,
Aux yeux complimenteurs,
Barbet, professeur,
Deux voisins, Labarre et Jofathe,
Et le général marquis de Brémate,
Chef du parti royaliste,
Soixante-seize ans, héraldiste.
Or, un jour, faisant des courses,
Je passais rue de la Bourse.
Soudain, je vis sortir d’une porte
Une femme accorte
Ressemblant à Eva.
Je pensais : « Que ferait-elle là
Puisqu’elle avait entrepris
A la librairie
Un nouvel aménagement ?
Ce n’est pas elle assurément… »
Mais elle se retourna par hasard:
-« Tiens, te voilà, c’est bizarre,
…J’étais justement venue
Chez le menuisier Cornu
Commander nos étagères.»
Oh, la mensongère !
-« Tu rentres à la boutique? »
-« Mais oui, mon cher Eric. »
Je la quittai et partis.
Pourquoi avait-elle menti ?
J’eus alors le vif sentiment
Qu’elle avait un amant.
Depuis, quand je devais sortir,
Je pensais : « Il va venir, le satyre.»
J’étais jaloux. Aucune hésitation.
Ha, comme je comprends l’Inquisition !
J’écraserais ses mains coupables
Dans des étaux redoutables.
Allons, parle, avoue !
Non ? Alors, dans l’eau qui bout,
Je lui plongerais les pieds
Jusqu’à l’estropier.
Parfois Eva déjeunait à l’extérieur.
J’ai donc acheté le serveur.
Et imaginais la scène : J’entrais.
Une table du restaurant séparait
Les deux amants.
Le coupable était sûrement Froment.
De cent coups de canne, je l’assommais
Mais,
A la brasserie, où je me rendis
Le garçon vendu me répondit
En m’indiquant une porte dérobée :
« C’est là, dans ce salon privé. »
J’avais bien choisi mon moment !
Elle n’embrassait pas Froment,
Mais Brémate !
Devant l’aristocrate,
Je restais abasourdi.
Ma femme s’était amourachée
D’un marquis engourdi,
D’un général ventru, débauché !
Les femmes se donnent aux jeunes, aux vieux,
Pourvu qu’ils soient riches ou glorieux.
-« Qu’as-tu fait, dis ? »
-« Je suis parti. »