Vous êtes adjoint à la Culture de la Ville de Montpellier. À quand remonte votre histoire d’amour avec la Culture ?
En France, nous avons la chance d’avoir un système scolaire avec des professeurs de grande qualité qui nous font partager leur passion de l’esprit public. Et c’est cet esprit public qui a porté la culture. À l’École, on lit Racine, on apprend par cœur les fables de La Fontaine ou on travaille sur Guernica pour comprendre l’histoire contemporaine. Cet apprentissage vous lègue un patrimoine qui s’enrichit avec la curiosité. En tant que responsable politique, j’ai la conviction que la culture ne fait pas le tourisme ni le rayonnement. Mais la culture est d’abord un droit au même titre que l’éducation ou que la santé. Je suis moi-même un citoyen qui découvre la culture grâce à un ensemble de dispositifs publics qui sont très importants dans notre pays. D’ailleurs j’ai toujours été très actif à la Faculté en matière culturelle. J’ai milité pour la création d’un théâtre, j’ai crée un ciné-club. Car à mon sens, son utilité sociale est évidente.
Vous êtes à l’origine de la Zone Artistique Temporaire (ZAT) qui s’est déroulée récemment dans un parc montpelliérain. Quel est le bilan pour cette deuxième édition ?
Le bilan de cette ZAT est très bon. Mais il faut prendre en compte le mouvement dans lequel s’est inscrite la ZAT. Montpellier a lancé Montpellier Danse, le Festival Radio France mais également la rénovation du Musée Fabre. Notre Ville a également une forte ambition autour de la photographie et demain l’art contemporain. Montpellier est une ville en mouvement qui doit proposer, inventer et oser des choses nouvelles. L’idée des ZAT se construit autour de l’art qui investit l’espace public. De plus, les ZAT ne sont jamais au même endroit, ni aux mêmes périodes ni aux mêmes heures. Elle vise à révéler la ville et la nature sensible de l’espace urbain. Cette deuxième édition après celle d’Antigone, un quartier à l’image d’un social majestueux pensé par Georges Frêche et réalisé par Ricardo Bofill, s’est tenue au Parc Méric, un lieu montpelliérain de l’impressionnisme. Cette manifestation se veut d’excellence en matière artistique et cela a été un grand succès populaire. Cela montre que lorsqu’on fait bien les choses et que l’on est exigeant sur la programmation culturelle, le public répond présent.
De quoi êtes-vous le plus fier dans la politique culturelle de la Ville de Montpellier ?
C’est très difficile de répondre à cette question car il faudrait que je m’arrête et que je me retourne sur mon action. De plus, en tant que responsable politique, je considère que l’action est d’abord le mouvement. Sous mon mandat, je me suis battu sur le dossier du Rockstore. Nous allons investir 2 millions d’euros de travaux pour en faire une salle de référence de musique actuelle en France. Il y a bien évidemment la ZAT qui prouve qu’à Montpellier, il se passe des choses. N’oublions pas l’Agora des Savoir, cette idée folle de faire venir un grand chercheur français et fédérer 500 personnes autour de ce rendez-vous. Il y a également l’ambition nouvelle que je souhaite donner en matière d’art photographique. A cette occasion, la Ville de Montpellier présentera pour la première fois des clichés couleur de Brassaï qui était l’ami de Picasso. Ce sont toutes ces choses que je me suis efforcé de défendre depuis le début de mon mandat. Un responsable politique a le devoir de tenir le contrat qu’il a passé avec les électeurs qui, au final, jugeront de son action.
Quels sont les grands chantiers à venir en matière de politique culturelle pour la Ville de Montpellier ?
A Montpellier chaque année, nous inaugurons un bâtiment dédié à la Culture . Cette année, nous avons inauguré le cinéma municipal Nestor Burma. L’année prochaine, ce sera au tour de la Panacée, un lieu dédié à l’art contemporain radicalement innovant. Cela sera un lieu singulier dans le paysage culturel français. Chaque année, nous menons une politique publique nouvelle. Montpellier est une ville qui fait sa place aux Arts et à la Culture.
Montpellier est considéré comme un territoire numérique à la pointe. On vous sait très attaché au numérique, Michaël Delafosse. Qu’en est-il du lien et de la cohésion sociale que vous défendez à ce propos ?
Depuis la fin du 20ème siècle, l’éruption d’internet représente quelque chose de considérable. Aucune innovation technologique ne s’est répandue aussi rapidement. Internet est en train de bouleverser en profondeur tous les champs de la société au point même des rapports sociaux entre les hommes. Ce qui nous invite à réfléchir à l’idée de distance, à l’ubiquité, etc. Ces nouvelles technologies produisent un changement extraordinaire et majeur. Et nous en sommes conscients à la différence d’autres périodes historiques. La culture n’échappe pas à ces bouleversements. La chaîne du livre, par exemple, en est affectée tout comme la musique. Internet est un nouveau lieu de la création culturelle tels que les Arts numériques. Il y a également un nouveau rapport des publics à la Culture. Il n’y a qu’à voir le rôle que Facebook a joué dans les révolutions arabes même s’il n’en a pas été le déclencheur. Internet est un support d’usage comme le journal l’était à la révolution française.
Ainsi, les responsables politiques doivent penser ces choses-là afin d’anticiper les risques éthiques tel que le téléchargement de la musique. Mais en même temps, on ne peut pas mettre tous les jeunes qui téléchargent en prison. Ainsi, il faut réfléchir à cela. Il y a des enjeux majeurs pour les libertés publiques. C’est dans cette optique que j’ai lancé le projet « Montpellier Territoire Numérique » qui vise à dire deux choses l’égalité d’accès à nos concitoyens à la fibre haut débit d’ici 2012 car les opérateurs ne font pas la loi. Nous nous devons également d’amener à un lieu d’échanges les acteurs du numérique. Dans tous les cas, ces questions ne peuvent pas rester des impensés politiques comme c’est le cas aujourd’hui en France. Notre démarche est donc de favoriser l’innovation et accompagner cette démarche. Mais nous ne pouvons pas considérer qu’un jeune qui touche à internet est un criminel. Il ne doit pas être pénalisé pour cela.
Montpellier est un théâtre d’une vie culturelle intense. À votre avis, quel rôle doit jouer la Culture dans une ville ? Comment la politique culturelle doit elle s’articuler avec la politique sociale, environnementale ou encore sportive ?
Je le répète, la finalité de la Culture n’est pas le tourisme ni le rayonnement d’une ville. Je suis un homme profondément de gauche et je suis convaincu que la Culture est un droit comme l’est l’éducation ou la santé. Seuls les hommes sont capables de culture. Montpellier doit faire une place importante à la Culture qui prend part au développement de la ville. Nous souhaitons cultiver l’esprit, la curiosité, soutenir les créateurs, les chercheurs. La culture est une idée de progrès. La culture aide les individus à construire leur liberté de jugement et contribue au développement de l’humain. Ainsi, nous nous devons de donner des impulsions afin d’enrichir l’offre culturelle sans reproduire ce qui se fait déjà ailleurs.
La ZAT n’incarne t-elle pas finalement cette ambition ?
Il y a des révélateurs comme la ZAT qui démontre que Montpellier depuis trente ans propose une politique culturelle dynamique. Une politique culturelle n’est pas le divertissement et encore moins l’éloge du divertissement. Elle est au contraire une ambition pour les Arts, les Lettres, l’Excellence. Car nous nous devons de faire ce pari utopique que tout être humain est sensible à l’art. Nous travaillons pour que les gens fréquentent les théâtres, se rendent aux spectacles, qu’ils reprennent le temps de lire. La culture vise à offrir une alternative à l’idée que seul le divertissement peut exister dans la société. Le divertissement doit exister. Ma is aujourd’hui, ce qui m’inquiète c’est que la promotion du divertissement se fait parfois au détriment d’une politique culturelle. Je reste tout de même optimiste. Je constate d’une part que le divertissement va croissant mais d’autre part, lorsque nous proposons des choses de haut niveau et que nous prenons des risques, les gens sont là. Il y a donc à mon sens une appétence dans ce pays pour la Culture.
Dans quelques jours se tiendra la Comédie du Livre le 27, 28 et 29 mai. Il apparaît que cette nouvelle édition est en train de changer et devrait prendre une autre dimension cette année. Qu’en est-il ?
La Comédie du Livre a 25 ans. C’est une très grande manifestation très appréciée des montpelliérains. À 25 ans, on mûrit. Je suis obnubilé par le rapport qu’entretien la société avec le livre. Le livre est l’objet de culture par excellence. Grâce au livre, on apprend et on pénètre des univers. Il y a clairement un relâchement de la lecture ajouté à cela une transformation de l’économie du livre. Pour preuve, en 1980, le Président de la République tenait un livre dans sa main sur la photo officielle. Le livre est un objet puissant qui a une force symbolique. Le livre, c’est la civilisation. La Comédie du livre est pensée de la manière suivante : comment redonner le goût de lire et comment promouvoir au mieux la littérature ? C’est pour cela que La Comédie du livre est une manifestation gratuite. On vient pour rencontrer les auteurs, pour déambuler, pour se faire plaisir.
La comédie du livre doit trouver sa spécificité et je pense que l’idée de la langue invitée est pertinente. Nous souhaitons résolument fonctionner comme cela. Les 25 auteurs de langue allemande iront tous sans exception se présenter devant des classes entières de petits montpelliérains. 2000 élèves sont concernés. Paul Nizon devant des élèves de seconde, c’est important. En France, il faut avoir une très grande ambition pour le livre.
Quels sont les rapports de l’Allemagne avec Montpellier ?
Montpellier a une histoire avec l’Allemagne. Nous sommes attachés à ce lien qu’il faut entretenir. L’Allemagne est une grande nation de culturelle. De plus, Montpellier est jumelée avec Heidelberg, fruit d’une très belle histoire très peu connue. Celle d’étudiants qui, au lendemain de la guerre, sont partis en Allemagne convaincus que la Paix passerait par les universités. La littérature allemande est extrêmement dynamique, riche, et foisonnante. C’est le moyen idéal pour faire découvrir aux Français cette langue.
Est-ce que cette édition de la Comédie n’est-elle pas un pari culturelle tant la programmation est riche ?
Si la programmation est abordée en terme quantitatif, on sombre dans le divertissement. L’intérêt est par exemple qu’un grand auteur nobélisable comme Paul Nizon ait le temps de parler et de s’exprimer. Si la programmation est respectueuse des auteurs, des artistes et du public, la rencontre aura lieu.
Quel est votre avis sur le livre papier ? D’après vous, est-il amené à disparaître ?
Aujourd’hui, le numérique connaît une part croissante. Bien entendu que beaucoup de livres seront lus sur les tablettes. C’est un changement que nous devons accompagner. Je suis personnellement amoureux de l’objet livre, du beau livre. Dans ce sens, je pense sincèrement que nous allons vers une double existence d’ici les trente prochaines années. Le numérique n’est pas une menace mais plutôt comme une réalité qui s’impose à nous. Nous devons en tirer le meilleur parti possible et en faire une chance. À ce propos, il faut défendre la rémunération de la chaine du livre et en particulier les auteurs. La loi Lang du Prix unique du Livre a été une très grande loi. D’autre part, il me semble aujourd’hui qu’il faut engager une révision importante du droit d’auteur car aujourd’hui aucun poète ne vit de sa poésie. Cela me rend très inquiet. La précarité des auteurs est sous bien des formes peu acceptable.
Quelle est la politique de la Ville de Montpellier en matière de livre et de lecture ?
Nous apportons d’abord un soutien très actif aux libraires parce que ce sont les médiateurs du livre à la différence d’Amazon qui n’est pas un libraire. Nous souhaitons faire la promotion d’une politique du livre tout au long de l’année. Pour cela nous avons un formidable réseau de médiathèques et de lectures publiques et nous accompagnons les libraires pour animer la vie littéraire de la ville.
Pour finir, quel est votre sentiment sur la presse en ligne ? On voit le succès de la presse en ligne. Elle est la preuve qu’Internet n’affaiblit pas les revues papiers. Ce sont des formes nouvelles et originales. C’est une belle histoire pour la presse. Et le bi-média devient aujourd’hui une stratégie.
(Photo Michaël Delafosse DR ©)