Finalement, Nicolas Sarkozy est trop content. A en croire la cascade de confidences anonymes ou off distillées dans la presse depuis ce weekend, la disparition politique de Dominique Strauss-Kahn fut une nouvelle qui le fait jubiler. De retour à Paris après un passage en Côte d'Ivoire, il a livré l'un de ses discours sur la régulation et la protection sociale dont il a le secret. Au même moment, son ministre de l'intérieur expliquait que les immigrés volent le travail des Français et qu'un chômeur récidiviste doit s'attendre à perdre ses aides.
Jubilation politique
Officiellement, il est « triste et choqué ». Officieusement, il a confié qu'il « cache sa joie ». C'était en tout cas le constat de l'un des journalistes « embarqués » dans l'Airbus présidentiel samedi dernier, pour le déplacement expresse mais symbolique de Nicolas Sarkozy en Côte d'Ivoire : « Nicolas Sarkozy fait beaucoup d’efforts pour contenir sa jubilation et garder, selon son expression, de la "hauteur".»
En off, Sarkozy a profité de ce voyage avec quelques journalistes pour livrer combien il était choqué par l'affaire, mais aussi par les réactions de certains amis de DSK. Le candidat Sarkozy buvait du petit lait. Plus les jours passent, plus il est ravi que l'actualité politique lui ait fourni un repoussoir plus important que lui en la personne de DSK. Pourtant, sa cote sondagière ne progresse pas. Elle régresse même encore un peu. Mais il pense, comme ses conseillers, qu'il pourra facilement ridiculiser François Hollande.
Sur place, le président français était le seul chef d'Etat étranger à avoir fait le déplacement. La Côte d'Ivoire reste un pilier de la Françafrique. D'ailleurs, Nicolas Sarkozy a promis aux expatriés, lors d'une courte intervention publique, que les militaires français resteraient présents sur place. Il avait annoncé l'inverse voici deux ans.
Incantation sociale
Nicolas Sarkozy, comme toute la classe politique française, devrait méditer l'actualité espagnole. Quelques messages sur des réseaux sociaux, une crise trop grave, un sentiment d'injustice, et voici des centaines, puis des milliers de manifestants se sont retrouvés sur les places des principales villes d'Espagne depuis le 15 mai. Sans parti, sans mots d'ordre autre que l'indignation, sans violence ni alcool, un mouvement incroyable et relativement terrifiant pour les organisations structurées. Les manifestations ont été interdites, samedi 21 mai, mais les protestataires n'en avaient cure. Le G8 se prépare, et déjà des manifestations. La rencontre de la fin de semaine sera ultra-sécurisée.
Lundi matin, le Monarque délivrait quand même 25 minutes de discours sur le « renforcement de la dimension sociale de la mondialisation ». Il ouvrait une conférence des ministres du travail du G20. Tout un programme ! Il a proposé « des voies pour une mondialisation réductrice d'inégalités, comme le développement de "socles" de protection sociale, de politiques prioritairement axées sur l'emploi et le respect des droits du travail.»
A l'étranger, Sarko est toujours gaucho : « Il faut que nous sortions des impasses de la mondialisation. » devant des assistances internationales, il avoue toujours quelques constats qu'il prend soin de masquer quand il retourne dans l'arène politique nationale. Ainsi, « L'élévation du niveau de vie moyen, qui est une bonne nouvelle, ne cache plus aujourd'hui le ressentiment des damnés de la mondialisation. Entre le milliard de plus pauvres et le milliard de plus riches, l'écart de PIB par habitant s'est accru de 60% sur les 7 dernières années. » Ou encore : « Et dans la majorité des pays de l'OCDE, si l'extrême pauvreté a reculé, dans le même temps, les écarts entre les plus riches et les plus pauvres se sont creusés.» En France, l'extrême pauvreté a progressé.
Quelles solutions ? Sarkozy a rappelé trois idées : « tout d'abord, encourager le développement de socles de protection sociale. » La formule est délicieuse. La Sarkofrance travaille à réduire le périmètre de sa protection sociale, comme les récentes propositions polémiques de Laurent Wauquiez, pas démenties sur le fond par le chef de l'Etat, sont venues nous le rappeler. Mais le Monarque aime à rappeler qu' « il est désormais établi que les économies se portent mieux lorsqu'il existe des régimes de protection sociale efficaces, parce qu'ils conduisent à améliorer la productivité des salariés et à favoriser une croissance équilibrée et durable ». Et oui, devant un parterre de ministres et journalistes, le Monarque a rétabli une vérité : si la France a connu une crise moins forte qu'ailleurs, « c'est parce que nous avions ce système de protection sociale.»
Autre levier, une porte ouverte qu'il convenait d'enfoncer à nouveau : « nous devons mettre l'emploi au coeur de nos choix économiques. Si nous voulons retrouver en 2015 le niveau d'emploi qui prévalait avant la crise, il faut créer 110 millions d'emplois dans l'ensemble des pays du G20, soit 22 millions par an pendant cinq ans ». Et enfin, il aimerait un « respect accru des droits du travail ». Et il précise : « parfois il m'arrive de penser que j'aimerai que l'OIT table du poing sur la table, », car, « les huit conventions de l'OIT sur les droits fondamentaux du travail ne sont pas ratifiées par tous les membres du G20, qui sont pour la plupart membres de l'OIT ».
Ces incantations sociales étaient troublantes, ou si peu, quelques heures après d'autres formules, plus dures, de son propre ministre de l'intérieur. Docteur Jekyll parle pendant Mister Hide sévit.
Menaces électorales
Guéant promet l'asile à DSK. Enfin presque. Le ministre de l'intérieur, interrogé dimanche, a reconnu que l'ancien général du FMI serait accueilli en France pour purger sa peine... s'il était condamné. A fleurets mouchetés, les ténors de Sarkofrance distillent leur venin.
Mardi, Claude Guéant est auditionné à l'Assemblée nationale. Le ministre de l'intérieur et de l'immigration avait réservé ses plus belles formules pour la sphère médiatique, le weekend dernier. Comme souvent quand il s'exprime publiquement, le ministre avait préparé ses phrases choc. Cette fois-ci, elles portaient sur l'immigration légale. Guéant est engagé à légitimer le discours du Front national depuis l'aube des années 1980 qui prétend que les immigrés légaux chipent le boulots des « bons Français ». L'argument a été maintes fois démonté. Mais il perdure, en période électorale : « Mais on n'a pas besoin de maçons, de serveurs de restaurant. Il y a en France la ressource. (...) Contrairement à une légende, il est inexact que nous ayons besoin de talents, de compétences.»
Guéant lui-même n'a pas toujours dit cela. Surtout, il oublie l'échec flagrant des quotas par métiers institués par Brice Hortefeux à la création du ministre de l'identité nationale en 2007. Son illustre prédécesseur avait constitué des listes de postes à pourvoir, par pays, obsolètes aussitôt publiées. Une usine à gaz administrative et indécente, puisque, sans surprise, on avait réservé aux pays d'Afrique le gros contingent des métiers sans qualification.
Comme le rappelle Tefy Andriamanana sur Marianne2, Claude Guéant, directeur de cabinet de Sarkozy à l'intérieur puis secrétaire général de l'Elysée est largement co-responsable de cette pratique d'Etat.
Le ministre a aussi rappelé quelques éléments récents de la doctrine sarkozyenne. Ainsi, sur l'indemnisation chômage, sans préciser ce qu'il entendait pas travail normal, « On ne peut pas refuser indéfiniment un travail normal. Et quelqu'un qui refuse plusieurs fois un travail normal ne doit plus être inscrit comme demandeur d'emploi et bénéficier des aides publiques.» Sur l"échec de l'intégration à la française, on retrouve quelques accents du discours de Grenoble du 30 juillet dernier, « Contrairement à ce qu'on dit, l'intégration ne va pas si bien que ça : le quart des étrangers qui ne sont pas d'origine européenne sont au chômage. Les deux tiers des échecs scolaires, c'est l'échec d'enfants d'immigrés ».
La Sarkofrance n'aurait donc plus de maçons ni de serveurs immigrés.
A-t-elle encore besoin d'incantations ?