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"Tout passe" de Bernard Comment

Publié le 24 mai 2011 par Francisrichard @francisrichard

La nouvelle n'est pas un genre mineur. Il est même très exigeant, car il s'agit d'emporter la conviction en un petit nombre de pages, ce qui suppose une qualité d'écriture et un talent de conteur plus soutenus que dans un roman. Chaque nouvelle doit ressembler à un petit bijou logé dans un écrin.

On pourrait dire que la nouvelle est un concentré de roman. Elle ne peut pas et ne doit pas décevoir le lecteur. Il lui faut le faire avec une économie de mots et de temps. Car il s'agit au plus vite de laisser une empreinte et de graver dans la mémoire ne serait-ce qu'une impression. 

Bernard Comment, dans son recueil de nouvelles intitulé Tout passe, publié chez Christian Bourgois ici, met en scène tour à tour plusieurs personnages qui ont pour point commun de se mettre à considérer le côté éphémère de l'existence et le peu de choses qui en reste, quelques moments, parfois un secret que l'on garde pour soi et qui disparaîtra ou non avec soi, quelques manies.

Une mère goûte, à la faveur du flottement de son corps dans l'eau d'une piscine, quelques instants de bonheur en laissant monter à la surface quelques menus souvenirs.

Un fils, qui n'a pas connu son père et n'a rien de commun avec lui, et pour cause, assiste à son enterrement et se découvre tout de même son héritier.

Un entraîneur de football, 45 ans, amateur de Schubert, fait une escapade dans un zoo voisin, pendant la fin d'un match de son équipe, et se met hors jeu pour prendre du recul, rompre avec l'habitude, laisser libre cours à son imagination en suivant un jeune couple des yeux, mais il n'échappe pas vraiment à son passé, à ses scories.

Une jeune femme vit isolée dans un chalet. Un ami de passage se trouve avec elle, avant de repartir. Un autre ami, d'enfance celui-là, lui rend visite au même moment sous un faux prétexte. Il aimerait abolir l'occasion qu'ils ont manquée tous deux. Mais peut-on réparer le passé ?

Un veuf a développé l'entreprise de son beau-père. Lui et sa femme n'appartenaient pas au même monde. Après son décès il ne veut rien laisser à leurs enfants ni à leur descendance, qui ressemblent à son épouse. Il décide d'enterrer sa fortune sous la forme d'espèces périssables.

Un homme se voit annoncer une maladie incurable. Il imagine ce qui se passera après sa disparition et ne le supporte pas. Il commet l'irréparable. Pour rien, puisque justement son corps ne souffrait de rien de malin.
Un homme vit en mer depuis trois ans sur un cargo échoué, gardien de son précieux chargement de tungstène. Une ex débarque lors d'un ravitaillement. Il ne lui reste plus que lui au monde. Elle a échappé à une menace. Que faire d'elle après tant d'années ?
Un grand écrivain n'a pas publié depuis quinze ans. Il a vendu tous ses manuscrits à une compagnie américaine, en viager. Il a toujours écrit à la machine. Il ne veut pas les décevoir. Patiemment il reconstitue ses manuscrits, avec plein de corrections, anachroniques, au feutre rouge.
Un vieillard se trouve dans un bibliothèque numérique au moment d'une panne de courant. Il a pour voisine de table de travail une jeune femme désoeuvrée, puisqu'il n'y a plus d'accès. Elle le regarde avec des yeux ronds quand il lui parle des milliers de volumes qu'il a chez lui. La panne se prolonge. Une complicité s'instaure.

Les nouvelles ont le grand avantage de permettre d'embrasser plusieurs destins en un seul volume. En l'occurrence les nouvelles de Bernard Comment permettent de mesurer le temps qui passe, car tout passe. Il n'est qu'une façon de le retenir un peu, c'est de le retrouver par bribes singulières. Ce que l'auteur autorise ses personnages à faire, avec l'art et la manière.

Francis Richard

Le 3 mai 2011, le Prix Goncourt de la nouvelle a été décerné pour Tout passe à Bernard Comment


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