Troublé, il lui donne sa pellicule… Enfin, il s'arrange pour ne pas lui donner la bonne. Car il est intrigué par l'intérêt porté à son film. Dès qu'elle est partie, il le développe, essaie de comprendre, agrandit les images. Et il découvre un détail qu'il n'avait pas vu lors de la prise de vue : il suit la ligne vers où porte le regard de la jeune femme et découvre un revolver pointé à travers les feuillages. Il s'aperçoit alors qu'il a été sans le savoir le témoin d'un meurtre…
Comme parabole de la difficulté à expliquer ce que l'on croit percevoir, c'est la classe internationale. D'ailleurs, Antonioni obtint la Palme d'or à Cannes l'année suivante. C'était l'époque où les palmarès représentaient quelque chose, il faut dire… Et donc, pour réaliser son film, il avait emmené à Londres toute une équipe de tournage. Equipe dont l'entretien coûtait la peau des fesses. Déjà en délicatesse avec son producteur, Antonioni eut alors recours à une vieille technique de réalisateur dépensier pour justifier un nouveau dépassement de budget : il avait gardé pour la fin la scène du meurtre, morceau de bravoure destiné à négocier une rallonge en position de force.
Mais le producteur, Carlo Ponti (mari de Sophia Loren) n'était pas né de la dernière pluie. Et il refusa tout net de sortir la moindre lire en plus. Antonioni fut donc obligé de monter son film avec les seules images dont il disposait, donc sans sa scène centrale du meurtre. Cette contrainte donna à “Blow-Up” (agrandissement, en anglais) une partie de sa finesse et sa poésie. Elle magnifia cette extraordinaire parabole sur la confrontation du réel et de l'illusion et sur la vacuité de croire en la possibilité de maitriser la réalité. Comme un parallèle aux bruits des balles d'une partie de tennis seulement mimée, on nous montrait la photo d'un meurtre qu'on ne verrait jamais.