Innovation, innovation originale et indicateurs
Commençons par quelques rappels de mon précédent article.
J'ai défini l'innovation d'une entreprise comme l'introduction dans l'entreprise de modifications, nouvelles par rapport à l'état de ses connaissances, de son activité.
Cette définition de l'innovation inclut également toutes les nouveautés provenant de l'extérieur de l'entreprises, y compris les nouveautés des concurrents que l'entreprise copie. Je pense qu'une entreprise qui copie l'innovation d'une autre entreprise est une entreprise qui innove. En effet, bien peu d'innovations sont complètement indépendantes de connaissances existant au préalable (défi : citez m'en une !), et même une entreprise qui copie une innovation doit l'adapter à son propre fonctionnement.
Par contre, une entreprise qui apporte une innovation originale a certainement plus de mérite qu'une entreprise qui copie l'innovation d'un de ses concurrents. C'est pourquoi j'ai défini l'innovation originale d'une entreprise comme une innovation qui n'a pas été réalisée auparavant dans une entreprise concurrente.
J'ai ensuite identifié 4 indicateurs de base :
- l'effort d'innovation : mesure des dépenses spécifiquement liées à l'innovation,
- l'effort d'innovation originale : mesure des dépenses spécifiquement liées à l'innovation originale,
- le fruit de l'effort d'innovation : la mesure du chiffre d'affaires spécifiquement apporté par l'innovation,
- et le fruit de l'effort d'innovation originale : la mesure du chiffre d'affaires spécifiquement apporté par l'innovation originale.
Mesurer ces indicateurs pour une entreprise donnée nécessite un audit, de préférence réalisé par une agence indépendante de notation de l'innovation.
Mais voyons ces indicateurs sous des points de vue différents, pour voir ce qu'ils peuvent apporter.
Le point de vue des économistes
Les économistes cherchent à utiliser des données pour mieux comprendre l'économie, à la fois à l'échelle globale (la macroéconomie) et à l'échelle des entreprises (la microéconomie). Or, concernant l'innovation, ils disposent de certaines données d'entreprises assez peu représentatives, à la différence de la macroéconomie (Schumpeter ayant été un pionnier dans ce domaine).
Ainsi, si on se limite à l'innovation technologique, on trouve généralement dans un rapport annuel d'entreprise : le nombre de brevets publiés, l'investissement en R&D, le nombre d'ingénieurs et de scientifiques embauchés... Ces données sont représentatives d'une certaine activité technologique, mais pas directement d'un effort d'innovation technologique, car il est par exemple possible d'affecter le budget R&D à des améliorations non innovantes (réglage fin d'un procédé industriel, changement d'un matériau coûteux par un matériau moins cher...).
De plus, l'innovation technologique n'est pas forcément issue de la R&D interne : elle peut provenir d'une découverte scientifique d'un laboratoire public que l'entreprise arrive à transposer, d'une idée de technicien de production qui identifie par l'observation une amélioration dans un procédé industriel, ou encore d'un client bricoleur.
Enfin, l'innovation ne se limite pas à l'innovation technologique : on peut innover dans le business model (le grand succès de l'iPod d'Apple n'est pas dû à une innovation technologique majeure, mais à son système de vente de musique iTunes Store), dans le design (c'est l'un des principaux axes d'innovation de l'automobile aujourd'hui, tant la technologie est mature), ou encore dans l'organisation (la méthodologie Agile en informatique en est l'un des derniers avatars).
Comment alors vérifier un certain nombre de slogans présentés comme des vérités évidentes, comme "aujourd'hui, plus que jamais, les entreprises qui n'innovent pas sont condamnées à disparaître" ? Comment savoir quel rôle joue vraiment l'innovation dans les entreprises d'aujourd'hui ? Comment préconiser des actions politiques pour favoriser l'innovation ?
L'évaluation de l'innovation, basée sur des indicateurs fiables et surtout pertinents, est à mon sens un outil nécessaire pour comprendre l'innovation d'un point de vue microéconomique et sortir des affirmations péremptoires mais injustifiées et parfois contre-productives.
Le point de vue des entreprises
Innover n'est pas une évidence, contrairement à ce qu'affirment beaucoup de chantres de l'innovation. Certaines marques utilisent au contraire la tradition, quasiment le contraire de l'innovation, comme un argument de vente. Et ça marche dans bien des cas.
Pourtant, certaines entreprises innovent avec succès. Il doit donc y avoir des situations qui justifient d'innover et d'autres qui justifient de ne pas le faire. Avant que les économistes puissent expliquer comment doser l'innovation dans chaque situation, il va sans doute falloir attendre. Mais rien n'interdit à un chef d'entreprise d'observer sa propre situation et de se poser des questions : "Est-ce que mon entreprise innove ? Innove-t-elle de manière originale ? Combien est-ce qu'elle investit dans l'innovation ? Et combien cela rapporte-t-il ?". La réponse à de telles questions permettrait sans doute de mieux piloter l'innovation de chaque entreprise.
Le point de vue des services publics
Les services publics cherchent à faire en sorte que les entreprises innovent. Elles subventionnent donc par diverses aides les entreprises qu'elles estiment innovantes.
Mais cette estimation est parfois difficile, et l'on entend dire que les grandes entreprises détournent certaines aides sans véritablement innover, alors que certaines PME innovantes n'en bénéficient pas ou mal (certains hubs sur Viadeo sont, de fait, consacrés à de telles plaintes). De plus, la France semble assez peu capable de lancer des startups innovantes pour en faire des entreprises de taille mondiale comme Amazon par exemple.
Où fait-on fausse route ? Difficile à dire sans outils de diagnostic. Et si l'on ne choisit pas les bons, on risque de choisir la course au brevets. D'après ce document, le Japon est le pays qui dépose le plus de brevet par habitant et il en dépose plus du double par rapport aux États-Unis et près du triple par rapport à la France. Mais le Japon n'a pas pour autant l'économie la plus dynamique.
Avoir les bons indicateurs d'évaluation de l'innovation, c'est mieux dépenser l'argent public.
Le point de vue des investisseurs
Le cas des investisseurs est différent de celui des entreprises, bien qu'ils soient liés. Un investisseur qui injecte de l'argent dans une entreprise qu'il croit innovante fait un pari sur l'avenir : une entreprise innovante (au sens de l'innovation originale), qui prend des risques, a plus de potentiel de rapporter gros qu'une entreprise suiveuse, qui a contrario peut présenter l'avantage de la sécurité.
Mesurer l'innovation de l'entreprise est donc une manière de choisir ses placements.