Cela a commencé comme une expérience. Mais très vite, le ministère l’a jugée concluante. Et voilà le dispositif Eclair étendu à la rentrée malgré le tollé. Les syndicats crient à la remise en cause du service public, avec des profs désormais choisis par le chef d’établissement, des programmes nationaux plus ou moins suivis et une remise en cause du statut des enseignants.
L’idée a surgi lors des Etats généraux sur la sécurité à l’école organisés à Paris les 7 et 8 avril 2010. Pour le ministre de l’Education Luc Chatel, il s’agit d’inventer quelque chose de nouveau pour les établissements les plus exposés à la violence.
Le dispositif qu’il détaille alors est baptisé Clair (Collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite). Ses principales novations sont: des profs recrutés sur profil par le chef d’établissement, un « préfet des études » par niveau, essentiellement chargé de la vie scolaire, un encouragement aux expérimentations pédagogiques, une liberté d’adapter les programmes, etc.
A la rentrée 2010, 105 établissements – essentiellement des collèges et des lycées professionnels – entrent dans le programme Clair, issus des dix académies « les plus exposées aux faits de violences ».
Cela a beau n’être qu’une expérimentation, d’emblée les syndicats se méfient. Ces temps-ci, le ministère a tendance à beaucoup expérimenter. Puis il évalue, parfois au bout d’à peine quelques mois comme pour Clair, et il généralise, sans demander l’avis de personne.
C’est ce qui est arrivé. En janvier 2011, Luc Chatel annonce que le dispositif « a vocation » à être étendu aux 254 établissements RAR (réseau ambition réussite), les Zep les plus en difficultés. Il est alors rebaptisé Eclair (Ecoles, collèges et lycées pour l’ambition…), les écoles étant dans les RAR.
A la rentrée 2011, le programme Eclair sera donc lancé. Certains établissements apprennent ces jours-ci qu’ils vont le rejoindre. « La plupart des enseignants, nous sommes contre. Sans doute est-ce pour cela qu’on nous l’a annoncé si tard. Car il est difficile de se mobiliser maintenant et de faire bouger les parents, explique un prof de Montreuil (Seine Saint Denis) dont le collège a été classé Zep, Rep, puis RAR et maintenant Eclair. Du coup, 80% des enseignants du collège demandent des mutations. »
Pratiquement tous les syndicats sont contre – dès le 14 décembre 2010, une intersyndicale a demandé le retrait du dispositif. Ils se retrouvent sur deux grandes critiques:
- avec Eclair, le ministère procède à une refonte de l’éducation prioritaire, sans consulter les partentaires sociaux ni faire de bilan,
- il ouvre aussi la voie à une déréglementation, notamment du statut des enseignants. Les profs volontaires pour Eclair s’engagent par exemple pour 5 ans, et ont ensuite priorité pour le choix de leur affectation.
Sur le terrain, le dispositif rencontre pas mal de résistances. Les candidats au poste de préfet des études – plutôt destiné aux CPE – ne se bousculent pas. De nombreux conseils d’administration d’établissements votent contre l’entrée dans le dispositif. Dans l’académie d’Aix-Marseille très mobilisée, selon le Snes, 85% des personnels concernés y seraient hostiles.
Dernier en date, le Snalc vient d’annoncer dans un communiqué qu’il déposait un préavis de grève reconductible à partir de ce lundi, afin de « permettre aux personnes concernées de mener des actions pour obtenir l’abandon du projet ».
Pour le Snalc, le dispositif Eclair « hypothèque la liberté pédagogique des professeurs, en renforçant le rôle du conseil pédagogique, en créant un échelon hiérarchique intermédiaire via le préfet des études et en soumettant le recrutement des personnels à l’avis du chef d’établissement ». C’est aussi « une atteinte sans précédents au cadrage national de l’enseignement et au statut des professeurs ». Enfin, le syndicat pointe le risque d’ »accroître les disparités d’accès au savoir (…) par l’adaptation locale des contenus d’enseignement ».
Certains y verront une nouvelle preuve d’ »immobilisme » des enseignants – « il ne faut pas avoir peur du changement », avait lancé Nicolas Sarkozy le 14 avril, visitant l’ERS (établissement de réinsertion scolaire) de Bagnères-de-Luchon. Pour les protestataires, c’est une nouvelle preuve que l’on veut changer l’école en profondeur, et sans consulter.