Finalement la presse française aura joué un très mauvais tour à Dominique Strauss-Kahn.
Au lieu de se régaler, égrillards, sur les dernières prouesses de “la terreur des sommiers”, les journalistes auraient dû gratter là où cela fait mal.
Quelques banderilles plantées dans le cou du Minotaure auraient eu raison de son sentiment d’impunité; Dominique Strauss-Kahn n’aurait peut-être pas commis l’irréparable, dont il est accusé par la justice américaine. “Il n’y a pas mort d’homme”, plaide Jack Lang, qu’on a connu meilleur communicant.
Eh bien si, il y a eu la mise à mort symbolique d’une mère célibataire d’origine africaine.
A force d’absoudre le patron du Fonds monétaire international (FMI), la presse française a précipité sa chute.
Pour avoir voulu fabriquer une icône, les communicants de Strauss-Kahn ont oublié qu’ils avaient affaire à un homme, avec ses fragilités. Plus prompts aujourd’hui à s’auto-justifier qu’à enquêter, hier, sur les frasques du grand homme, les journalistes français se sont absous d’emblée.
Et avec quelle vigueur.
Pas question, entend-on, de s’ériger en procureurs ou en moralistes. Résistons à cette nouvelle vague de puritanisme ! Diable ! “L’information s’arrête au seuil de la chambre à coucher”, a professé Le Canard Enchaîné. Un peu court, lorsqu’on se souvient que le patron de l’hebdomadaire satirique, Michel Gaillard, avait reconnu dans un entretien accordé à Libération que “Le Canard aurait dû, durant les années Mitterrand, ne pas dissimuler l’existence de Mazarine”. Même au Canard, apparemment, la porte de la chambre est entrebâillée !
Ailleurs, Franz-Olivier Giesbert, patron du Point, a soutenu qu’en l’absence de délit caractérisé, la presse n’avait pas à lancer d’enquête.
Foutaises !
Si telle était la règle dans la profession lorsqu’il s’agit de faits divers, qui touchent le plus souvent des citoyens ordinaires, beaucoup d’entre nous seraient au chômage technique.
Autant de dénégations qui masquent la frilosité de la presse face au chouchou des médias. Lorsque le site Agoravox, le 22octobre 2008, publie le témoignage de l’écrivaine Tristane Banon, dénonçant l’agression de Strauss-Kahn, personne ne relaie l’information.
LES “SPIN DOCTORS” DE DSK
L’omerta sur le patron du FMI ne s’explique pas par les scrupules de notre profession. Et la chape de silence sur Strauss-Kahn ne touche pas seulement sa vie privée. Même le coût de ses costumes chez le tailleur de Barack Obama à Washington, révélé par France-Soir et confirmé par l’AFP, est considéré comme un secret d’Etat par sa garde rapprochée. Gare à qui s’aventure sur ce terrain ! Et qui dira le harcèlement subi, celui-ci par textos, par la journaliste indépendante qui a osé enquêter sur le mode de vie du patron du FMI à Washington ?
A la manœuvre, “la bande des quatre”, ces communicants d’Euro-RSCG qui ont créé pour Strauss-Kahn une formidable ceinture de chasteté médiatique. Comparés à ces spin doctors, les Pierre Charon et autres Franck Louvrier, les hommes de Nicolas Sarkozy, font figure d’enfants de chœur.
Avec la montée en puissance de Strauss-Kahn dans la course à la présidentielle, la communication politique a pris la profession en otage. Un article complaisant est publié sur le voyage du patron de VSD en Afrique ? Euro-RSCG, qui vient de refaire la maquette de l’hebdomadaire, a pesé de tout son poids.
Un livre médiocre sur les relations de Strauss-Kahn avec les femmes paraît chez Plon, signé d’une inconnue nommée Cassandre ? A peine l’ouvrage imprimé, un argumentaire assassin sur les erreurs de l’auteur est envoyé dans les rédactions par Euro-RSCG.
Le message est clair : les rapports de Strauss-Kahn avec les femmes sont un non-sujet. Les nouveaux chiens de garde mâchent le travail des journalistes et des politiques. Jusqu’au choix des mots. “Toute cette histoire ne lui ressemble pas.” Depuis l’annonce, le 15 mai, de l’arrestation du patron du FMI, ses principaux lieutenants répètent cette phrase creuse à satiété. C’est ce qu’on appelle dans le monde de la communication “des éléments de langage”, signés Euro-RSCG.
Lorsque le mari d’Anne Sinclair s’est fait prendre dans une aventure avec une fonctionnaire du FMI, c’est à nouveau la force de frappe d’Euro-RSCG qui a tenté de recoller les morceaux. C’est Ramzy Khiroun, l’homme à la Porsche et conseiller d’Arnaud Lagardère, qui a confié à un journaliste de Paris Match, propriété du même Lagardère, le rôle de témoin capital. Il s’agissait de constater qu’Anne Sinclair n’en voulait pas à son époux volage. L’hebdomadaire de Lagardère a même photographié le déjeuner de réconciliation des amoureux pris “en tête à tête”… Manque de chance, sur la photo figure un troisième couvert…
Joli coup enfin, lorsqu’en 2010 l’ancienne chargée de communication de DSK à Bercy, Véronique Brachet, a été embauchée par Radio France comme responsable de la communication; elle veille au grain.
Depuis six mois, le patron de France Inter, Philippe Val, un ami de Véronique Brachet, a bataillé pour que l’animateur Daniel Mermet, réalisateur de “Là-bas si j’y suis”, renonce à l’émission sur “DSK” qu’il avait programmée sous forme d’un procès. “Hors de question”, lui écrit en substance Philippe Val, qui cédera à la dernière minute, avec quelques recommandations.
SOUMISSION AU MONDE DE LA COMMUNICATION
Dans un autre événement historique, le départ brutal, le 16janvier, du président Ben Ali, la presse française a été prise de court. Beaucoup de journalistes défendaient les acquis du “miracle tunisien” vanté par Jacques Chirac et quelques autres. Là encore, des communicants français étaient à la manœuvre, convoyant des charters de journalistes au pays du jasmin dans les conditions les plus agréables.
La plus efficace fut Anne Meaux, la grande prêtresse du CAC40, qui avait obtenu, sous Ben Ali, le budget de promotion de l’image de la Tunisie.
Plus récemment, en mai 2010, le célèbre faiseur de rois, Jacques Séguéla, créait Havas Tunisie. Il s’associait avec Ghazoua Ben Ali, une des filles du président déchu. Dans le dossier tunisien, les communicants de choc font merveille pour vendre à la presse, en prime, des argumentaires séduisants.
Pendant vingt-trois ans, la nécessité de lutter contre l’intégrisme violent a justifié, jusqu’au dégoût, leur défense du régime. La soumission de la presse au monde de la communication ne permet pas au simple citoyen de comprendre des séismes comme la chute de Ben Ali ou l’effondrement de DSK.
Deux tiers des Français qui croient aux théories du complot dans le drame humain du patron du FMI, voici un terrible signal d’alarme. C’est à une presse indépendante, débarrassée des fabricants d’icônes, qu’incombe la charge de raconter notre monde et de le rendre intelligible.
Sources : lemonde.fr, Nicolas Beau, journaliste, auteur avec Arnaud Muller de “Tunis et Paris, les liaisons dangereuses”