"Rien à perdre", l'éditorial de Christophe Barbier

Publié le 08 février 2008 par Cabinetal


Lire l'éditorial de Christophe Barbier, paru dans le journal l'Express de cette semaine. C'est ce que je pense en mieux dit, et c'est ce que je n'ose dire depuis longtemps. Merci de l'avoir fait, avec tant de talent.
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Rien à perdre

Christophe Barbier

Dans les chantiers du présent, la popularité ne sert à rien, outil clinquant et vain, chaîne d'or qui tient un boulet de plomb

Le 6 mai au soir, sans qu'il le sache, il est arrivé un grand malheur à Nicolas Sarkozy: soudain, le conquérant n'avait plus rien à gagner. En ce début d'année 2008, il lui advient, sans qu'il en prenne conscience, une grande chance: le président n'a plus rien à perdre. De tous les falbalas trompeurs de la victoire, il ne lui reste plus aucun oripeau. Les rubans de l'état de grâce sont fanés, les larges manches du magicien sont déchirées et son chapeau est vide. Dans la salle, les applaudissements sont rares, les huées percent et les grincheux dominent. Le chef de l'Etat va enfin pouvoir se mettre au travail.
L'époque, toute mesurée de sondages, toute jaugée de concours, ne met rien au-dessus de la popularité. Il fallait jadis être vertueux pour être aimé, il suffit aujourd'hui d'être adulé pour être paré de vertus. Dans les baromètres, palmarès et autres admiroscopes, un abbé Pierre décédé rivalise ainsi avec un Zidane retraité, au milieu d'une escouade de politiques obsédés de la cote. Dans la boîte aux échelles de valeurs, l'étalon gloire le dispute à l'aune célébrité. C'est pour les imposteurs une bien belle saison, et pour les hommes d'Etat sincères le temps d'une grande tentation: faire ce qui est bien vu et non ce qui est bien. Signe de décadence, la tyrannie de la popularité fonctionne à l'envers. Le puissant croit tenir en respect le peuple qui l'acclame, alors que c'est la foule flatteuse qui enserre son maître dans ses rets: s'il bouge, s'il agit, s'il réforme, elle l'étouffe de disgrâce. «La popularité, cette grande menteuse», dénonçait Victor Hugo.
Dans les chantiers du présent, la popularité ne sert donc à rien, outil clinquant et vain, chaîne d'or qui tient un boulet de plomb. Aujourd'hui malmené dans les sondages, affaibli comme la plupart de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy a deux solutions: s'immobiliser et remonter dans les mesures de popularité comme un bouchon sur l'eau, pour filer vers quelque cataracte fatale; plonger vers les abysses en aggravant son cas, pour sortir de cette apnée, en 2012, dans la mer de la prospérité, où vogueront les réformes réussies. La plus urgente est celle de l'Etat: la révision générale des politiques publiques est un menuet où il faudrait une marche au pas cadencé. La deuxième, petite soeur de la précédente, doit libérer les entreprises de leur corset administratif: le pays est toujours constipé de paperasse. La troisième concerne les institutions: c'est méconnaître la France que juger superflue cette nouvelle révolution et, à chambouler les pratiques sans toucher aux textes, le président a semé la confusion. Il doit, au lendemain des municipales, réorganiser tous les pouvoirs, fusionner les communes pour consolider les agglomérations, supprimer le département pour conforter les régions, renforcer l'Assemblée et rabattre le Sénat, etc.
La dernière réforme que doit réussir Nicolas Sarkozy, et sans doute lui faut-il commencer par là, c'est la sienne: être enfin président, sobre et serein, homme de cap plus que de cape. Pour réussir cette métamorphose, il lui serait bon d'être impopulaire à lui-même; c'est-à-dire qu'il doit apprendre à s'aimer un peu moins.

LEXPRESS.fr du 07/02/2008