Face ŕ l’OMC, Airbus et Boeing gagnants ex aequo.
Mieux valait patienter quelques jours avant de se pencher sur le rapport d’appel de l’Organisation mondiale du commerce sur l’interminable différend Airbus-Boeing. Lequel oppose non pas les deux industriels mais la Commission européenne et l’administration américaine ŕ travers l’U.S. Trade Representative. Et, vu le résultat de cet appel, incompréhension et perplexité sont ŕ leur comble.
L’OMC, en effet, s’est comportée comme le jury du festival du film de Cannes. Ne pouvant trancher, il a décerné deux Palmes d’or, faisant ainsi deux heureux. A Genčve, en revanche, et quels que soient les termes ampoulés du jugement, ce sont deux vrais-faux vainqueurs qui, penauds, ont été renvoyés ŕ leurs chčres études. Deux vainqueurs, c’est évidemment un de trop. Mais pouvait-il en aller autrement ?
On se demande s’il faut rire ou pleurer en lisant les commentaires venus de Toulouse et Chicago. Ils sont étrangement identiques, chacune des deux parties exprimant sa grande satisfaction d’avoir gagné face ŕ un adversaire K.O. debout. Ainsi, Jim McNerney, PDG de Boeing, n’hésite pas ŕ parler Ťd’une victoire claire et définitive pour le bon fonctionnement du commerce et de la garantie d’un traitement équitable pour les employés du secteur aéronautiqueť. A Chicago, la lecture du jugement consiste avant tout ŕ affirmer que l’avionneur européen a bien bénéficié de 18 milliards de dollars de Ťsubventions illégalesť.
C’est un éternel recommencement, qui s’étend maintenant sur 40 ans. A300B et A310 mis ŕ part, financés par les pays Airbus (et au tout début Hawker Siddeley sur ses fonds propres), les programmes européens successifs ont connu une incontestable réussite, ŕ commencer par l’A320 dont le nombre d’exemplaires vendus est aujourd’hui dix fois plus élevé que les prévisions établies en 1984. Bien sűr, l’A380 pose problčme, il n’est pas encore prouvé qu’il atteigne ses objectifs commerciaux mais il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur son sort financier.
Dčs lors, on en revient ŕ la confusion entretenue outre-Atlantique en matičre de Ťsubventionsť et Ťd’aides remboursablesť. Les premičres se sont limitées aux années soixante-dix, quand le groupement d’intéręt économique Airbus Industrie a démarré, par la force des choses, avec des parts de marché inexistantes. A partir de l’A320, tout au contraire, la rentabilité a été acquise, les avances intégralement remboursées et suivies du paiement de royalties. Dčs lors, on pourrait exprimer autrement les récriminations américaines : elles reviennent ŕ contester le taux d’intéręt préférentiel Ťgouvernementalť qui a allégé les coűts de développement des avions européens.
Répondant au commentaire américain, Airbus clame sans ambages Ťqu’il est temps pour Boeing d’accepter la défaite légale et de mettre fin ŕ cette mascaradeť. On notera qu’il faut se sentir droit dans ses bottes pour s’autoriser un tel choix des mots. Le reste, apparemment 800 pages que bien peu de juristes liront, permet tout au plus d’occuper le terrain. Dčs lors, on en arrive ŕ une autre hypothčse, celle d’une nouvelle incompréhension transatlantique comme il en est tant.
Par moments, on oublie que les Américains ne comprennent pas la maničre de faire des Européens, moins en politique qu’en économie, et qu’ils jugent parfaitement inacceptables, inappropriées et répréhensibles des interventions étatiques dans la bonne marche du commerce. Le dossier des ravitailleurs en vol de l’USAF a montré que la perception américaine du Vieux Continent peut ętre erronée, pire, caricaturale. Il n’était pas rare d’entendre de véhémentes accusations relatives ŕ une stratégie Ťsocialisteť, une injure trčs violente, ce terme évoquant les pires des turpitudes. Souvent, Airbus est encore qualifié de consortium dont la vocation premičre serait de créer des emplois, voire de Ťdétruireť son concurrent, leitmotiv de quelques élus qui se permettent quelques petits arrangements avec la réalité.
Dans le męme esprit, le directeur juridique de Boeing, Michael Luttig, a implicitement rejeté toute idée d’une négociation directe avec Airbus, une proposition formulée ŕ plusieurs reprises par Toulouse. En d’autres termes, le blocage est plus que jamais total.
Une anecdote nous revient ŕ l’esprit. Quand il était ministre des Transports, Jean-Claude Gayssot, communiste et fier de l’ętre, mi-sérieux, mi-blaguant, nous avait demandé une faveur : ne pas écrire dans nos colonnes new-yorkaises que la route ŕ grand gabarit de l’A380 était financée par l’Etat. ŤIlsť dénonceraient aussitôt une subvention illégale. La suite de la polémique l’a prouvé, le bon Gayssot avait vu juste !
Reste ŕ savoir ce qu’en disent Chinois et Russes. Les C919 et MS 21 vont bientôt arriver sur le marché, intégralement financés par des subventions étatiques. Voici qui garantit l’emploi au sein de l’OMC.
Pierre Sparaco - AeroMorning