The Economist – 17 mars 2011 – Traduit par Stéphane Geyres
Le caustique Herb Stein (NdT ancien président du conseil économique sous Nixon, libéral conservateur) observa un jour que « si quelque chose ne peut continuer indéfiniment, cela doit s’arrêter. » L’aphorisme de l’économiste américain s’est montré d’acuité récemment, tout aussi applicable au régime d’Hosni Moubarak qu’il l’était à la hausse des prix de l’immobilier américain. Se pourrait-il qu’il s’applique aussi à la croissance de l’État ?
Les gouvernements se rencontrent sous de nombreuses formes et tailles. Dans certaines parties du monde, l’État est trop réduit. Au Guatemala, où les taxes prennent environ un dixième du PNB, les policiers privés sont cinq fois plus nombreux que la police et l’armée confondues. Mais le monde en majorité a le problème inverse. L’État s’est continuellement approprié une part toujours croissante de l’économie du monde riche depuis un siècle (voir graphique), et le vent de la réglementation étatique a lui aussi grossi.
Comme le conclut le dossier spécial de The Economist, les forces qui poussent à cette croissance sont puissantes, mais puissantes aussi sont les raisons de la voir stoppée. En tant que journal libéral, The Economist encourage depuis longtemps un État plus réduit ; mais il y a désormais des bases pragmatiques pour voir les politiciens de tous bords construire un État plus productif. Avec une population vieillissante à assurer, bien des gouvernements du monde riche sont sur la voie de la faillite, à moins qu’ils rehaussent les impôts à des niveaux qui feraient sombrer leurs économies. Et les marchés émergents observent, prêts à nourrir la demande de leurs citoyens à la richesse croissante – et aussi, prêts à éviter les erreurs des occidentaux.
Attention, la Bête change d’aspect
Les positions envers l’État glouton ont connu un effet de balancier, allant des attaques libérales sur le paternalisme au 19eme siècle, en passant par le consensus social-démocrate avide de l’après seconde guerre mondiale jusqu’aux privatisations Thatchériennes des années 1980. Il y a des signes qu’un nouveau paradigme s’annonce : témoin les coupes budgétaires dans la zone euro, la bataille entre le gouverneur du Wisconsin et les syndicats du secteur public et la rhétorique de David Cameron envers la “Big Society” (la « Grasse Société »). Il y a même la probabilité que la part du PIB due à l’État puisse s’estomper à court terme, l’économie globale étant aspirée par la reprise. Mais bien des efforts de réforme sont timides – observons les budgets mensongers produits à Washington à la fois par Barack Obama et par les Républicains, avec leur refus de toucher aux avantages sociaux. Si rien d’autre n’est fait que de vagues coupes envers quelques ministères, Leviathan pourra repartir d’un bon pas.
Pourquoi ? Parce que, malgré toute la rhétorique de la part des Tea Partis, le « sur-État » (« big government ») n’est pas la seule faute des bureaucrates nombrilistes et des politiciens de gauche. Les électeurs conservateurs, même s’ils n’aiment pas les impôts, n’ont cessé d’en demander toujours plus à l’État. Tout comme la gauche a construit des hôpitaux, annoncé des programmes sans fin pour aider les pauvres et apaiser les syndicats d’enseignants, la droite a construit des prisons, déclaré la guerre aux drogues et au terrorisme et apaisé les généraux, fermiers et les policiers. De plus il y a deux causes structurelles au « sur-État.» Tout d’abord, la productivité du secteur public, spécialement dans des domaines comme l’éducation et la santé, est demeurée bien en-deçà de celle du secteur privé. Ensuite, il y a eu une augmentation massive de la «redistribution sociale», particulièrement s’agissant des avantages sociaux de la classe moyenne et des personnes âgées.
Pour perdre du poids, les gouvernements doivent faire deux choses : apprendre comment faire plus avec moins, ce qui implique la modernisation de l’État, mais aussi réduire leur périmètre, ce qui entre autres suppose de s’attaquer à la redistribution sociale. Chaque axe est inévitable, quoique le premier présente la meilleure chance de résultats immédiats.
La plupart des tentatives de « reconception » du gouvernement à ce jour ont eu peu d’effets. Mais les échecs du système actuel deviennent chaque jour plus évidents, notamment eu égards aux écarts ahurissants de performance. Pourquoi une zone britannique de santé devrait-elle subir huit fois plus « d’admissions impromptues » (la catégorie la plus onéreuse) que sa propre zone voisine, tout ce qu’il y a de similaire ? Pourquoi les américains devraient-ils dépenser deux fois plus pour leur santé que les suédois tout en mourant plus jeunes ? Chaque nouveau classement international des universités montre plus clairement que les écoles américaines et les universités d’Europe continentale ne manquent pas de fonds, contrairement aux dires des syndicats, mais doivent plutôt embaucher de meilleures équipes – et être capable de licencier les mauvais professeurs. Ne serait-ce qu’amener les pans inutiles du secteur public à un niveau vaguement proche de la moyenne économiserait une fortune et améliorerait le service de façon drastique. Et il y a des thèmes communs qui émergent encore et encore : bien rémunérer le personnel performant, rendre la performance transparente, simplifier les taxes et impôts et aller vers un petit noyau de services publics fournis par de nombreuses entreprises en concurrence.
Réformer le secteur public est une tâche ingrate. Le faire bien, et l’État peut fournir les mêmes services et avantages pour un budget moindre. Pourtant les politiciens doivent de plus répondre à la question du rôle de l’État à donner tant d’argent à tant de monde. Sur ce point, la politique politicienne prend bien plus d’importance, à la fois parce que les électeurs cherchent bien plus à protéger leurs acquis et parce qu’il y a de véritables choix idéologiques à faire. Cet article, par exemple, donnerait des coups de hâche aux subventions industrielles et aux niches fiscales (ces dernières coûtent mille milliards par an pour les seuls États-Unis) ; il repousserait également l’âge de la retraite beaucoup plus vite que la plupart des gouvernements occidentaux le font actuellement – et l’indexerait sur la longévité.
Le sujet le plus difficile à attaquer concernera les avantages qui affluent à ce jour vers les classes moyennes et les personnes âgées. Les droits sociaux qui étaient à l’origine conçus pour les pauvres sont devenus des pourboires pour la classe moyenne ; d’autres vont aux personnes âgées pendant plus longtemps qu’initialement prévu par quiconque. La nature « buffet tout compris » des États-providence européens fait plus qu’occasionner une sur-consommation ; elle signifie également que même ceux qui s’en sortent correctement n’ont qu’une vague idée de combien cela coûte au total. A nouveau, plus un État est moderne et transparent et plus il est aisé de parler des moyens de tester l’offre sociale universelle.
Un beau jour
Idéalement, les prochains tours des élections occidentales – particulièrement les présidentielles en Amérique – seront centrés sur ce sujet. L’amaigrissement de l’État n’est pas un sujet de conversation facile. Mais il faut considérer l’alternative : un état toujours plus lourd, toujours moins de liberté et des impôts toujours plus lourds. Dans les années 1990, beaucoup fut fait sur l’idée que le capitalisme avait mis une telle empreinte que les États n’avaient d’autre choix que de maigrir et concourir et séduire pour obtenir les faveurs des entreprises. En fait les entreprises s’avérèrent plus loyales qu’envisagé – et l’État fit une dernière série de folies. Mais le talent et le capital deviennent mobiles ; la pression démographique des populations vieillissantes est en train de monter. L’État toujours grandissant ne peut continuer éternellement. Il s’arrêtera.
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Article d’origine : Taming Leviathan: How to slim the state will become the great political issue of our times