Femme, tentatrice et victime (Mademoiselle Julie)
En cette courte nuit, à cause d'un flirt entre maître et valet, les destinées vont basculer... Qui porte cette responsabilité : la femme éméchée, mutine et capricieuse ? L'homme aussi lâche qu'ambitieux, faible parce qu'il le veut, soumis à la beauté ? Cette puritaine qui n'a jamais su aimer si ce n'est par calcul ? L'alcool ? la folie d'une nuit qui escomptait que les maîtresses danseraient avec leurs valets ? la folie d'une fin de siècle pensant élever les filles comme les garçons ?
Au delà de la misogynie dont Strindberg est coutumier, Mademoiselle Julie souligne l'inégalité séparant hommes et femmes de son temps, la fatalité dans laquelle ces dernières, prisonnières de leurs ventres, nagent, et le silence de la société qui entoure cette noyade...
L'amour, (mauvaise) fée électricité (Les Créanciers)
La peur du dramaturge pour les femmes, tour à tour enfants et mères, primesautières et
calculatrices, victimes et criminelles, ensorceleuses et toujours culpabilisatrices, est tout aussi palpable dans Les Créanciers. Adolf, malheureux mari, sculpte un nu : une femme sur les fesses, cuisses ouvertes, totalement offerte. Cette statuette qu'il peut pétrir à loisir et cependant vivante – comme le prouve la résistance de la matière - est son fantasme ; en sublimant son épouse par son art, Adolf a dépassé les contradictions qui constituaient la femme incarnée : fragile corps en même temps qu'esprit machiavélique furtif... sorcière écrasant le pauvre homme par l'ombre de sa haute coiffure, la flamboyance de sa robe et la légèreté de son geste.L'amour est comme un « courant électrique », écrit Strindberg, alternatif, il oscille sans cesse du positif au négatif jusqu'à user psychiquement les membres du couple, les rendre fragiles et aveugles. C'est donc une mauvaise électricité qui retire à notre moelle toute sa substantifique vitalité en nous jetant loin de la lumière naturelle, mais dont, tels des moustiques attirés par l’ampoule qui les grille, nous recherchons sans cesse la présence.
« L'amour. Une sensation intermittente qui va et vient, qui a des moments de chômage […]
- Tu ne m'aimes plus !
Quel est l’homme qui ne connaît pas ce reproche ? Réponse à faire :
- En ce moment, je ne t’aime pas ; puisque tout m’est indifférent. Dans un instant, je te détesterai peut-être, puisqu’une aversion de tout contact avec un autre m’éloigne de toi, ce qui ne m’empêchera pas de t’aimer dans une demi-heure et pour toujours, avec des interruptions aussi nécessaires que l’alternance du courant électrique. » Voici ce qu’écrit Strindberg dans Théâtre cruel et théâtre mystique. Pour subvenir aux besoins des enfants qu’il eu de ses trois femmes, le dramaturge se devait d’écrire sans relâche : ses œuvres sont donc la résultante de l’ambivalence de l’amour, nécessaire souffrance et hypocrite réconfort, elles racontent la croix de l'homme en même temps qu'elles furent l'or salvateur du père de famille et la gloire du poète, finalement alchimiste en son domaine.
Sur l’élégante scène de Schiaretti, l’amour explose en particules élémentaires pour se reformer tout aussitôt. Le jeu du comédien Wladimir Yordanoff (présent dans les deux pièces) sert ce cynisme avec brio.
A voir.
Mademoiselle Julie et Les Créanciers, mis en scène par Christian Schiaretti, jusqu’au 11 juin à la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris 20e, Métro Gambetta. Tel : 01 44 62 52 52
Mademoiselle Julie : le mardi à 19h30, le jeudi à 20h30, le samedi à 17h30 et le dimanche à 15h30
Les Créanciers : le mercredi à 19h30, le vendredi et le samedi à 20h30, le dimanche à 18h30
Plein tarif : 27 euros, moins de 30 ans et demandeurs d’emploi : 13 euros, plus de 60 ans : 22 euros