J'aime la route qui mène à Haïfa. La mer nous accompagne, elle s'étend à perte de vue... personne sur le sable, la côte est sauvage, seuls de petits échassiers flirtent avec les vagues et viennent se poser sur les piscicultures des vertes plaines. A notre droite des montagnes s'élèvent vers le ciel et le mont Carmel se dessine au loin.... tableau idyllique.... si je savais peindre, je ferai une jolie toile ensoleillée, j'y mettrai des arbres.... des gens heureux, de la couleur, mais je ne sais pas dessiner et au milieu de mon tableau il y a une énorme tâche.... une tâche noire qui masque mon joli décor et qui gâche mon plaisir d'être ici......
Le camp d'Atlit -situé à une dizaine de kilomètres de Haïfa- est construit en 1939 par les britanniques pour y enfermer les juifs qui immigrent clandestinement. Ce camp restera en activité jusqu'en 1948, date à laquelle sera proclamée la déclaration de la naissance de l'Etat d'Israël. Il sera démantelé dans les années 1970 puis restauré dans les années 1980 afin que ce site soit un lieu de mémoire.
C'est une toute autre ambiance à l'approche de ce lieu. Il fait pourtant beau, l'endroit est boisé et on entend les chants mélangés des oiseaux.... 20 degrés en ce dimanche de début février, j'ai l'impression qu'il fait froid, et puis il y a ces barbelés et ces miradors..... une impression de déjà vu, une reproduction ici sur la terre promise.... j'y crois pas !!!
En 1939 Ils arrivaient par milliers sur des bateaux de fortune parfois, fuyant l'europe et les mesures antisémites qui commençaient et une drôle de guerre à laquelle personne ne croyait. La plupart des embarcations était interceptée par la marine britannique, on les sommait de faire demi tour. Certains bateaux étaient envoyés à Chypre et les immigrés se retrouvaient parqués dans des camps. Les plus chanceux arrivaient à passer entre les mailles du filet et rejoignaient souvent la résistance juive qui s'organisait. 141 bateaux ont tenté de rejoindre la terre d'Israël entre 1939 et 1948, avec à bord, 121 000 passagers.
A partir de 1945 et la libération des derniers camps de concentration, l'immigration s'est intensifiée et avec elle le renforcement des contrôles sur l'immigration clandestine. Lorsque un bateau arrivait, il était tout de suite arraisonné et les occupants étaient en état d'arrestation. Les détenus étaient conduits en autobus au camp d'Atlit, ils étaient enregistrès puis séparés en deux groupes, les femmes et les enfants occupaient des baraquements dans la partie Ouest et les hommes étaient à l'Est. Ca ne vous rappelle rien cette façon de procéder ? Une allée centrale divisait le camp en deux et au centre se trouvaient la cuisine, le réfectoire, l'infirmerie, la nurserie et le centre de désinfection.
Chaque baraque était occupée par une soixantaine de prisonniers. En été la chaleur était suffocante, en hiver il faisait très froid. Le soir les prisonniers étaient comptés et enfermés jusqu'au lendemain matin. Les familles pouvaient se retrouver une heure par jour seulement.
Incertains par rapport à leur devenir, beaucoup de personnes laissaient des inscriptions sur les murs, un simple message, un nom, une date, un rendez-vous... trace furtive de leur passage sur lequel le temps n'a pas eu prise. Les gravures sont intactes, elles sont la mémoire de ce lieu. Une inscription a retenue particulièrement mon attention, un simple prénom gravé sur ce mur froid ....Rébecca, (c'est le prénom de ma petite dernière). Je me suis demandée ce qu'était devenue Rébecca, est-elle encore en vie aujourd'hui, quel âge avait elle lors de son emprisonnement, quelle a été sa vie après son passage ici.....est ce qu'elle est toujours en eretz Israël.... j'ai essayé de lui donner vie, d'imaginer un personnage ici derrière ces barbelés.... mais je n'y arrivais pas....
J'ai sursauté en arrivant devant cette grande baraque. C'est la baraque de désinfection. La porte gauche servait pour les femmes celle de droite pour les hommes. Leurs vêtements étaient déposés dans une cuve spéciale pour y être nettoyés et traités. Après la douche, les prisonniers étaient aspergés de DTT contre les poux et autres parasites.
Je n'ose pas penser à la peur que devaient ressentir les familles qui entraient dans ce baraquement. Ces douches là avaient de l'eau mais qui pouvait le garantir ? après toutes les horreurs subies dans les camps, ils étaient une nouvelle fois face à leurs souvenirs et face à une atroce souffrance. Comme dans les autres baraques, des inscriptions étaient laissées à la hate, pour témoigner, si besoin était, de leur passage,
Et oui, ici aussi le train était l'un des moyens de locomotion choisi par les anglais pour le transport des prisonniers. Ils étaient acheminés en train, en bus ou alors dans des camions. J'ose espérer que les conditions n'étaient pas les mêmes qu'en Europe mais je n'ai pas pu vérifier, l'accès était fermé. Je pense que le nombre de personnes par wagon devait être moins important afin qu'ils puissent bouger, s'asseoir, respirer librement.....
La jeune femme qui nous servait de guide nous a expliqué -comme pour nous rassurer- que les prisonniers étaient bien traités, qu'ils avaient trois repas par jour, qu'ils pouvaient se retrouver avec leur famille une heure dans la journée..... il ne fallait donc pas faire de comparaison avec les camps nazis....
Evidemment je ne suis pas tout à fait d'accord avec elle, je suis consciente que les détenus étaient nourris convenablement, qu'ils ne subissaient pas de maltraitance physique mais je ne conçois pas que l'on puisse emprisonner des hommes, femmes, enfants qui ont survécu aux camps de la mort dans de telles conditions. Quel crime avaient-ils commis ? Ils sortaient de l'enfer, ils n'avaient nulle part où aller, ils avaient traversé la mer dans des conditions parfois extrêmes, entassés dans les bateaux, parfois rationnés en eau et en nourriture, avec comme seul bagage une valise de fortune et des horreurs gravées à jamais dans leur mémoire. Ce camp me révolte et n'aurait jamais du exister. A t'on seulement pensé à la souffrance morale qui parfois peut-être pire qu'une souffrance physique.
Dans la nuit du 9 au 10 octobre 1945, le Palmach, (groupe de résistance juive, unité de combat de choc de la Haganah) avec à sa tête Yitzak Rabin, décide de libérer une partie du camp. Pour monter cette opération, 6 membres de ce groupe se sont fait embaucher quelques semaines plus tôt en qualité de professeur d'hébreu. Ils vont, de l'intérieur, organiser la fuite de quelques 200 immigrants. Le départ est prévu au petit matin vers 4 heures. A l'extérieur, les résistants donnent le signal du départ. Les 200 personnes, hommes, femmes et enfants vont prendre la route, avec pour seul bagage une valise. Ils vont rejoindre le kibboutz de "bet-Oren" qui se trouve un peu plus haut dans la montagne. Ils vont marcher péniblement, la résistance leur proposera même d'abandonner leurs valises, ils trouveront tout ce qu'il faut au kibboutz, mais ils ne voudront pas, leur vie est dans cette valise..... cette valise ils l'ont trainée sur les routes d'Europe, ils l'ont emmenée dans les camps de la mort, c'est tout ce qu'il leur reste et ils s'y accrochent farouchement. Les soldats britanniques ne tardent pas à arriver, c'est alors que va se produire un énorme élan de solidarité.... les habitants de Haîfa on eu vent de l'évasion, ils vont se masser et créer une chaine humaine afin de protéger les fuyards et empêcher les anglais de les rattraper. La même chose se reproduira quand les immigrants seront arrivés au kibboutz de sorte que les anglais ne pourront pas récupérer les fugitifs noyés dans la masse des habitants du kibboutz.
Le lendemain du jour de l'indépendance en mai 1948, le camp fut libéré et une partie des immigrants clandestins pu sortir librement. Une autre partie resta sur place parce que les familles ne savaient pas où aller, ce camp devint alors un centre d'intégration pour les immigrés, le temps de leur trouver une destination en Israël. Le camp fut ensuite complètement abandonné. Il reprit fonction pendant la guerre des 6 jours pour y enfermer les prisonniers. Depuis il a été réhabilité en lieu de mémoire.
" Les oiseaux ne laissent qu'un chant éphémère ; l'homme passe, mais sa renommée survit. "
Proverbe Chinois