L’ange Gabriel, amnésique, ne se souvient plus de ce qu’il doit annoncer à son public, dont on ne sait pas bien s’il est dans les gradins ou sur la scène, et passe et repasse à grands renforts d’effets spéciaux au milieu d’une action qui le perd un peu, la jeune Salomé de Wilde veut effleurer Iokanaan l’illuminé, qui n’y tient pas franchement, et préfère se tourner vers le futur royaume de Dieu, Ponce Pilate, qui vient d’essuyer une révolte judéenne, a volé de l’argent et veut Iokanaan pour lui tout seul, l’Hérodias emprunté à Flaubert, traître à son peuple, donnera tout pour que Salomé, qui a quelque chose d’Antigone, danse pour lui à son mariage avec la mère de la jeune fille, laquelle mère rêve de s’enfuir à Rome avec Pilate, pendant qu’une troupe d’acteurs répète une pièce qui tient autant du Songe d’une nuit d’été que d’Hamlet. Jean-François Sivadier jette sur la scène comme à son habitude une bande de joyeux drilles aux inspirations multiples et au jeu apparent (Italienne avec orchestre déjà montrait la mise en scène en train de se faire de l’opéra La Traviata).
Alors que Marie Madeleine, découvrant le Christ ressuscité dans le jardin près du tombeau, veut se jeter à ses pieds pour les embrasser, celui-ci, qui n’appartient plus à ce monde, lui dit : Noli me tangere. Ne me touche pas. Cet épisode, emprunté à l’Evangile de Saint Jean, est le fil rouge du spectacle de Sivadier joué aux Ateliers Berthier (Théâtre de l’Odéon) au mois de mai. Chacun veut toucher l’autre pour mieux le posséder, mais tel est pris qui croyait prendre… On ne voit pas passer les 2h45 de patchwork biblique et profane, tant il est fait de trouvailles et de rires — incroyable fou rire des acteurs et de la salle toute entière ! — tant il est rythmé et joué, au théâtre ou au bac à sable, ou les deux, tant il est porté par une langue savante et vulgaire, connotée et décalée. Les espaces et les temps se juxtaposent sur le plateau jusqu’à se superposer : un quiproquo ne sera pas mené à son terme. Si la pièce n’apporte pas vraiment de grain à moudre pour un théâtre novateur, elle est en revanche délicieusement drôle et majestueusement menée par des acteurs excellents et une mise en scène efficace.