Une sorte de plébiscite politico-médiatique cherche à présenter la ministre de l’économie française comme la candidate « naturelle » des Européens pour succéder à Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI. Attention danger !
C’était il y a deux semaines à peine : le Journal du Dimanche publiait un article bien informé de
Nicolas Prissette sur le « blues » de Christine Lagarde. Nombre de ses collègues du gouvernement la décrivaient comme fatiguée, à bout de souffle, ou encore lassée des
mœurs trop rudes des milieux politiques. La ministre avait démenti, mais ça sentait un peu le sapin pour la grande Christine, apparemment pressée de terminer le G20 (dont la
préparation lui impose un rythme d’enfer). Après le dernier rendez-vous de novembre elle se serait mise en campagne pour l’élection législative pour le siège de député des Français
des Etats-Unis, et aurait trouvé un job sans aucun problème. "Back to USA", en somme. Et voici que le Sofitelgate dégagerait justement une voie accélérée vers Washington, et la direction
générale du Fonds. La reine Christine (deuxième du nom) serait la championne des Européens unanimes, eux-mêmes propriétaires du plus grand nombre de voix au conseil d’administration du FMI, et
tous intéressés à garder le poste dans la famille (lire ici ). La presse elle, a déjà voté : Le Monde, les
Echo s, Le Financial Times (qui après avoir porté DSK aux nues pendant des années publie ce matin une photo de lui, trash et volée en prison. Au fait comment dit-on
« ignominie » en anglais ?) l’ont élue au poste en moins de temps qu’il n’en faut pour réunir le board du FMI. Bel ensemble moutonnier. Car si Christine Lagarde réunit les
soutiens des gouvernants européens, encore faut-il se demander pourquoi.
Celui de Silvio Berlusconi est un simple renvoi d’ascenseur à Nicolas Sarkozy pour avoir accepté Mario Draghi
à la BCE, en remplacement de Jean-Claude Trichet. Rien de sincère dans les éloges du matamore italien. Mais on peut se demander ce qui justifie les éloges, d’Herman Van Rompuy président permanent
du conseil européen, du luxembourgeois Jean-Claude Juncker, du commissaire Olli Rehn ? On ne sache pas que notre ministre, toute intelligente qu’elle est, soit une as de la
technique monétaire, ou une théoricienne des équilibres mondiaux. Non. Tout simplement Christine Lagarde est à leur image, eux qui sont des conservateurs gèrant en bons pères de famille une
économie européenne fatiguée. Et sans aller jusqu’à prétendre comme nos confrères de Mediapart que notre ministre n’a pas sa place au FMI faute de disposer d’un doctorat en économie
(qui se souvient du désastre provoqué par Michel Camdessus en Asie à la fin des années 90?), on peut parier que Lagarde au FMI, ce serait la projection du manque d’audace de la zone euro au
niveau planétaire. I suffit d'écouter ses dernières déclarations sur la Grèce, appelée par elle à éviter "la faillite" par des privatisations massives! Le FMI, au contraire, a besoin de continuer
la bien timide révolution entamée sous Dominique Strauss-Kahn. De réhabiliter l’investissement social, la dépense publique, de bousculer Washington et Pékin pour trouver une nouvel équilibre,
d’inventer des instruments monétaires nouveaux, de rompre avec la trouille irraisonnée de l’inflation, etc, alors que les mille économiste qui peuplent le Fonds sont encore loin d’avoir
admis les évolutions imposées à leur maison par le haut. Franchement, Christine Lagarde ne paraît pas à la hauteur de l’enjeu et rien ne serait plus contre productif que d’envoyer là-bas un
simple gardien du coffre-fort mondial avec l’espoir qu’il (elle) gardera les pépettes des Européens.
Reste à savoir si cet emballement politico-médiatico-économique pour Christine Lagarde sera de longue durée.
D’ici la fin du mois de juin, la commission des requêtes de la cour de justice de la République devrait dire si oui ou non, il faut entamer une procédure contre la ministre de l’économie et des
finances pour « abus d’autorité » dans l’affaire Tapie, pour avoir, en 2007, forcé à l’arbitrage qui a enrichi Bernard Tapie de 210 millions d’euros aux frais des contribuables
français. Si les juges concluaient par l’affirmative, ouvrant une longue procédure, l’avenir international de Christine Lagarde serait ipso facto barré. Les prétendants de rechange sont, hélas,
presque pire: Gordon Brown aurait fait l’affaire, mais David Cameron ne veut faire aucun cadeau à un travailliste. Resteraient Axel Weber, l’inflexible allemand, ou son copain Jean-Claude
Trichet. Au secours !
Version corrigée à 22 heures, à la demande -justifiée- des lecteurs. Mes excuses pour avoir travaillé trop
vite. Bon week-end à tous. HN
PS: une lectrice très sympathique m'indique qu'en anglais, "ignominie" s'écrit "ignominy". Nous ne pouvons plus l'ignorer... Merci.
Hervé Nathan