A ceux qui auraient oublié.
Je me souviens d'un temps lointain où je trouvais les saisons haïssables dans leur uniformité écrasante sous un soleil invariant. Torride. Le temps semblait figé devant l'horreur que lui infligeaient les hommes. Les thermomètres made-in-China étaient bloqués. En Algérie nous n'avions le choix qu'entre deux modèles aussi désuets que mal formés. Nous lisions dans les journaux entre deux lieux communs : "Ciel bleu éclatant de pureté. Températures : trente et un degrés sur les côtes, quarante-cinq à Bidon V. Mer calme couleur turquoise. Pas de vent." Et cetera. Quels que soient les journaux ou les saisons nous y lisions les mêmes rengaines comme des leitmotive sans qu'il ne vînt jamais à l'esprit des journalistes l'idée de demander leur avis -une seule fois- au ciel à la mer au vent au temps. Sans qu'il ne leur vînt jamais à l'esprit l'idée de regarder les éléments dans les yeux. Certains quotidiens nous promettaient tous les jours, grâce à l'horoscope, un avenir radieux. "Mais mon cher ami l'horoscope symbolise l'ouverture sur le monde, sur le Cosmos" ironisaient sous cape des opposants politiques. Une ouverture trouble peignée d'une encre fangeuse. Les quotidiens politiques étaient les plus prolixes, combattants-zélés, tous les jours invariablement, plus royalistes que le Pharaon. De leur sanguine ils adressaient entre les lignes des mises en garde ou des missions. Plus tard, de nombreuses années plus tard, on procéda à un recyclage concomitant du papier, du matériel, du calame et des journalistes qui vieillirent, qui se remarièrent et qui eurent beaucoup d'avantages en nature. Ils devinrent alors les plus ardents défenseurs des libertés surveillées.
C'était le temps immuable de mon adolescence, celui du silence. Nous vivions sans précipitation, point pour économiser quoi que ce fut, non. C’était ainsi. Lorsque quelqu’un parlait nous lui tendions le cou et aussi l’oreille. Car la voix était toujours basse. Nous avions toujours peur de déranger. Nous avions toujours peur. Avant de parler ou d’écouter nous retenions notre respiration et comptions jusqu'à sept. Nous étions sommés de réprimer, de refouler tout sentiment, toute pensée, toute émotion, toute conviction ou paroles obliques, sous peine de…