J'ai lu ce livre en écoutant majoritairement un famous jew.
Ça me semblait de bon aloi.
Ce livre est non seulement une brique (1390 pages chez Folio) mais il est aussi immense.
De par cette étude de l'obéissance, couteau qui égorge la volonté de l'homme.
Raconter la guerre du point de vue du bourreau, ça c'est déjà vu chez Tournier, chez Merle, chez Barbe, chez Hatzfield, chez Sémelin. Mais de manière aussi crue, aussi précise...
La sexualité même de Max Aue est particulière. Incestueux de sa soeur jumelle, homosexuel qui a besoin de branches d'arbres ou de saucisses afin de soulager son anus, le désoeuvrement est à son comble dans l'avant dernier chapître de cette valse de la dérive mentale.
Car tous les chapîtres sont titrés de nom de danse connues du 18ème siècle, Toccata, Allemandes I et II, Courante, Sarabande, Menuet (en Rondeaux), Air, Gigue.
Brasillach, Rebatet, Cousteau, Heydrich, Eichmann, Himmler, Speer, Kaltenbrunner, Bierkamp, Ohlendorf, Hess, Globocnik, Blobel, Ernst Jünger, Mengele, la martyr soviétique pendue Zoïa Anatolievna Kosmodemianskaïa qui est la genèse de ce livre travaillé pendant plus de dix ans et Adolf Hitler lui-même dans une scène hilarante à la toute fin impliquant un nez trop peu aryen.
La recherche de Littell est si précise qu'elle pourrait nous faire croire que Aue a bel et bien existé. Donnons-nous encore 50 ans, et tout comme The King's Speech*, on finira par croire que Aue était vrai.
Littell est tout simplement bouleversant dans ses écrits. C'est une ironie malsaine mais réfléchie que ses mots dans la bouche de Himmler qui dit, outré en parlant des anglais de Churchill, "Tirer sur de civils sans discrimination, nous les puniront pour crimes contre l'humanité après la guerre!"
L'espoir allemand est naif. "Un jour l'histoire jugera que nous avions raison."
.L'homme n'est pas naturellement bon, ni naturellement mauvais non plus. Le bien, le mal sont des catégories qui peuvent servir à qualifier l'effet des actions d'un homme sur un autre; mais elles sont foncièrement inadaptées, voire inutilisables pour juger de ce qui se passe dans le coeur de cet homme. Parlez en à ce cardiologue de chez nous. Il avait bien dit "tu veux la guerre, ben tu vas l'avoir"
En temps de guerre il est juste de tuer l'ennemi de son peuple. (Demandez aux soldats des États-Unis). Ce parcours idéologique dont la solution du meurtre ouvre tour à tour de nouveaux abîmes nous présente le schéma d'un déséquilibre.
Dans Schindler's List, Thomas Keneally et Steven Zaillian font dire à Schindler qui discute affaires avec Goeth "one day this is all gonna end".
Lui parlait de la guerre.
Nous pourrions dire la même chose de nos vies.
Ce livre laisse des traces.
Rattrapées par des Bienveillantes.
*Le discours final anti-nazi dans le film The King's Speech, bien que touchant, n'a jamais eu lieu dans cette "histoire inspirée de faits réèls". Mais d'ici 100 ans je suis convaincu que l'on croira que c'est vraiment comme ça que le handicap du roi George VI fût moralement et hétoïquement sutmonté.