Lettre à un « ami sur Facebook ».
L’anecdote que je voulais te rapporter, depuis que nous nous sommes rencontrés sur Facebook est la suivante: le « Cheikh el Islam » (le grand mufti du rite hanéfite à Tunis), traversant la Place Halfaouine, après avoir conduit la prière du vendredi à la grande Mosquée « Sa7ib Ettabi3″,a eu la malencontreuse idée de s’arrêter devant l’étalage d’un marchand de fruits et de commencer par palper quelques oranges, pour s’assurer de leur qualité avant d’en acheter quelques unes. Le marchand lui fait alors remarquer qu’il n’avait pas à toucher ses fruits de cette manière, ce à quoi le cheikh répondit qu’il allait en acheter quelques kilos. Et au marchand de lui dire : » je t’ai dit de ne pas toucher, pour le reste tu peux acheter, si tu en as envie, sinon vas te faire enc….ailleurs. Ichri men gher ma tmess ou illa imchi n….. ».Le cheikh continua son chemin sans rien acheter, mais sans rien dire non plus. Le marchand d’à côté qui l’avait entendu faire preuve de comportement indélicat à l’égard du cheikh el islam est venu le réprimander en lui faisant remarquer que la personne à laquelle il ‘adressait n’était autre que le révérend imam de la grande mosquée d’en face. Pris de remords, le marchand insolent s’est mis alors à courir après le cheikh en lui demandant pardon, en s’excusant de ne pas l’avoir reconnu. Le cheikh lui dit alors » de quoi vais je te pardonner, à ma connaissance tu ne m’as rien fait de mal ». Mais si, rétorqua, confus, le jeune je t’avais bien dit « imchi….. » Et au cheikh de lui répondre » et alors ? tu croyais que j’allais écouter tes conseils ! »
Tout cela pour dire que les mots n’ont de poids qu’auprès de celui qui veut bien leur en donner. Il y a parait-il des mots qui tuent, selon les propos d’un Président défunt tenu à l’occasion de l’enterrement de son ex premier ministre qui s’était suicidé à la suite d’une campagne de presse calomnieuse. Mais, en fait les mots ne valent que par ce que l’on en fait comme interprétation. les mots ne sont pas transparents et leur sens n’est pas donné. C’est dire, que lorsqu’on fait commerce ( de communication) avec les hommes,il vaut mieux ne pas prendre les mots pour « argent comptant ». Il faut penser à les faire fructifier en les interprétant. Et cette » interprétation-fructification » n’est pas, comme on pourrait être tenté de le croire, le propre de l’activité du psychiatre ou du psychanalyste , mais également de celle du poète et de l’artiste, en général.
Facebook semble être un espace symbolique et non pas virtuel au sens de mimétique.Il faudrait, à mon avis, l’utiliser comme un espace de jeu qui, pour devenir sérieux,ne doit, à aucun moment, être pris pour la réalité. Ce jeu pourrait s’avérer intéressant, aussi bien pour les artistes, les chercheurs et les communicateurs qui l’utiliseraient comme lieu et moyen de création, de récréation et de jonction, à condition que ceux qui se proposeraient d’en être les acteurs soient conscients de leurs propres limites et de celles de Facebook , qui sont celles d’un théâtre des apparences (d’aucuns pourraient dire appâts rances), marqué du blanc et du bleu quelque peu nilotique des couleurs d’Israël et qui, depuis la fondation de l’État sioniste, symbolise le changement de la vocation noble d’origine, de la religion hébraïque en dogme dominateur et souvent belliqueux. Depuis que le Seau de Salomon a été transformé en Étoile de David.
Le flagrant délit de comportement fantasmatique dont font preuve ceux qui prennent cet espace pour mimétique de la réalité en dit long sur la dimension déréalisante de ce jeu, quand on s’y laisse prendre au sérieux. Comme le font un grand nombre de nos jeunes et moins jeunes qui se sont mis à décorer de couleurs palestiniennes leurs « murs » sur Facebook, faisant retrouver à cet espace symbolique, sa vocation programmée,de « mur de lamentation ». (Avec tous mes respects pour ceux qui prennent le mur de l’antique Orshalime pour un espace de prière et de proximité fantasmée avec le divin.)
En terme de manipulation de symboles, il serait bon de rappeler à nos jeunes que le Seau de Salomon qui, en fait, signifie la possibilité de joindre le matériel au spirituel (la terre et le ciel) et que désigne le croisement de ces deux triangles fléchés qu’est l’étoile à six branches, est un signe aussi bien judaïque qu’ islamique. C’est ce qui explique sa présence gravée, monumentale, sur le mur Est de la grande mosquée de Tunis. En l’opposant aux couleurs Palestiniennes et en l »envoyant à la « poubelle » c’est aussi consacrer sa récupération et sa dénaturation guerrière par les sionistes qui ont osé banaliser la sacralité de la « Jérusalem céleste » en transformant le support de « L’utopie libératrice », en État barbare, privant par la même, de leur horizon spirituel ,ceux qui ont toujours cru en l’espérance utopique du traditionnel « Demain à Jérusalem ». Cela ne ferait que légitimer une entreprise dont la victime est le judaïsme lui même en tant que promesse de libération et dont les conséquences déshumanisantes pour les jeunes soldats israéliens se laissent voir dans les actes quotidiens d’assassinat des enfants de Palestine qu’ils commettent en toute lâcheté, par technologie interposée.