Les limites des comparaisons à l'aveugle

Par Mauss

Depuis le célébrissime comparatif de 1976 où des californiens ont taillé de belles croupières à des noms bordelais prestigieux jusqu'à la récente dégustation de certains pinots noirs confrontés à des crus du Domaine de la Romanée-Conti, on ne compte plus ces événements du landernau du vin, avec, naturellement en tête, ce que nous faisons au GJE depuis 15 ans.

Mais quelles règles évoquer pour que ces confrontations avec des noms mythiques, des références mondialement connues, aient autant que possible une certaine objectivité ?

Règle n° 1 : des crus ayant le même âge

C'est un point d'entrée qui est délicat comme pas deux. En effet, s'il est facile de comprendre qu'à minima les vins doivent être au moins du même millésime, on peut argumenter fortement qu'il vaut mieux choisir pour ces vins des millésimes où ils ont atteint leur apogée. Mais comparer un Martha Vineyard 1974 et un Haut-Brion 1961 a t'il un sens ? J'en doute fortement.

Si on reste dans une seule région, là au moins, chaque cru a connu le même climat. La sagesse voudrait alors qu'on ne compare les crus qu'après un nombre d'années suffisantes pour que les grands noms présentent au moins le début de leur apogée. Ce que nous ne faisons que trop rarement, vu le coût de la chose, mais au moins, on l'a fait plusieurs fois dont la grande session au Bellagio à Las Vegas avec les 1982.

Bref : une règle qui se discute.

Règle N° 2 : des crus à la base de cépages identiques ou d'assemblage de même type

On ne voit strictement aucun intérêt à comparer un Latour et une Romanée-Conti. Un Sauternes et un Bâtard. On devrait normalement avoir vite un consensus sur cette règle n° 2.

Règle N° 3 : respecter l'identité de régions historiques où les grands vins ont pris un style unique

Probablement la règle la plus délicate à mettre en place. Je m'explique, sans que cela soit une certitude à appliquer rigoureusement.

Prenons la Bourgogne et le Piémont, le Tokaj et Porto, Savennières et Constantia. Voilà des exemples de régions où les cépages, la culture, l'histoire, les modes de vinification ont forgé un ensemble avec des terroirs qui donnent à leurs crus une spécificité supérieure qui, quelque part, sera probablement détruite en comparaisons aveugles avec des vins de même cépage mais grandis ailleurs. Non, ce n'est pas un ostracisme ou une défense inutile d'ici ou là. A l'aveugle, vous aurez toujours en moyenne un avantage qui sera donné aux vins puissants, riches. On l'a vu avec grande éloquence lors de la session du GJE à Tokaj où - pourtant on ne dégustait que des vins locaux - le classement final correspondait rigoureusement à la quantité de sucre résiduel. Idem si vous mettez des rieslings à moins de 5g avec d'autres ayant plus de 20g. Et comparer un Monfortino de Conterno avec les nebbiolo qu'on a planté aux USA me semble inutile, car cela n'apportera rien à l'un ou à l'autre.

Le pinot noir est certainement là le sujet le plus épineux. On adore les vins de Huber qui ont tenu la dragée haute à plus d'un grand cru bourguignon. Il y a certes en Oregon ou même en Italie des pinots noirs de toute belle facture. Mais ou est l'intérêt de les comparer à un Musigny de Mugnier, un Clos de Tart ou un Grand Echezeaux ? 

Je préfère maintenant, et de loin - ce qui ne fut pas le cas pendant des années du GJE, je l'avoue volontiers - organiser des comparatifs entre appellations d'une même région (ex : en côte de nuits) ou éventuellement entre sous-régions (côte de beaune et côte de nuits) et même mieux : entre crus de même appellation, mais de producteurs (donc de style) différents. Cela me semble plus juste, moins show-off, plus intéressants en tout cas.

Règle N° 4 : ne pas tomber dans une hiérarchie aristocratie-plèbe intouchable

Encore plus délicat comme problème. La règle n° 3 ne doit pas préserver certains noms de toute comparaison où de justes ambitions peuvent souhaiter se voir confronter aux références. On sait que c'est là un de mes dadas. Permettre à un Haut-Carles, à un Sociando, à un Haut-Condissas ou Reignac, à un Taupenot-Merme, à un Duband de se frotter au top du top : cela ne doit pas être interdit, mais réfléchi.

In fine, ne vaut-il pas mieux dire d'un vin qu'il est différent, qu'il plaît mieux ce jour J à ce temps T que de dire qu'il est supérieur à tel autre ? Et qui dira un jour les énormes différences qu'on peut ressentir entre un vin mis en dégustation comparative, à l'aveugle de surcroît, alors qu'à table, il y a pas mal de chances qu'il ouvre bien d'autres perspectives d'appréciation, en mieux ou en moins bien ?

La prochaine session du GJE au Laurent le 1er juin, une totale aveugle, a un but singulier… mais je vous le dirai plus tard :-)

Ils vont me morigéner mes zozos. Restons avant tout dilletante* : ce n'est que du vin !

Dillentante* : (© wikipedia)

Qualifie une personne qui n'envisage toutes choses que du point de vue du plaisir esthétique avec un certain scepticisme. Par extension, celui qui s'occupe d'une chose en amateur. Il s'oppose en ce sens à professionnel, homme du métier.

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Aucun rapport, mais allez donc lire la superbe prose jouissive à max de Nicolas de Rouyn évoquant les chaudes années de Lapérouse. Du grand art. ICI

A la niche, les critiques gastro officiels ! Vive Clémentine. On veut la connaître.