Cha no Aji
Un film de Katsuhito Ishii (2003) avec Maya Banno, Takahiro Sato & Tadanobu Asano
Version & support : DVD zone 2 distribué par CTV (2005), VF DTS
Diffuseur : TV Plasma Panasonic
Lecteur : Oppo BDP83
Participants : 8
L’histoire : Près de Tokyo, sur les hauteurs emplies de verdure, réside une famille particulière. Tandis que la mère passe son temps à concevoir un nouveau film d’animation en prenant des conseils auprès du beau-père excentrique, et que le fils adolescent, Hajime, se meurt d’amour pour une jeune fille qui joue au go, Sachiko, la silencieuse cadette, cherche à se débarrasser d’un encombrant double géant qui apparaît parfois sous ses yeux ; ils aiment écouter les histoires un peu folles de leur oncle, Ayano, ancien producteur de musique. Quant au père, il est souvent absent, pris par ses patients : il est hypnotiseur…
Un essai de synthèse, par Vance
Quel beau film !
Proposé par Nico, qui s’excusait presque tant il se doutait que le film ne pourrait faire l’unanimité du fait de son côté décalé (d’ailleurs, il le trouvait de son propre aveu étrange, et trop long), ce film qui avait fait le buzz à Cannes en 2004, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, a su convaincre, fasciner, voire séduire durablement la plupart de ses spectateurs. Le réalisateur, venant de l'animation (c’est lui qui s’était chargé du segment animé de Kill Bill, les origines de O-Ren Ishii), a su digérer les influences majeures de Mon voisin Totoro et des Yamada dans un film lent, presque contemplatif, qui tranche avec la furie visuelle qu’on lui connaissait.
Du coup, je suis forcé de réitérer mes remerciements à l’indispensable Nico. Car je me suis surpris à beaucoup aimer cette œuvre si particulière, dont la portée grandit lentement en soi longtemps après le visionnage.
Passées les premières séquences où on s'est tous un peu lâchés avec des commentaires ironiques, des quolibets déplacés et des plaisanteries qui n'étaient pas du meilleur goût, passé l'agacement lié à la longueur des plans que le réalisateur se complaît à étirer parfois en dépit du bon sens, on se surprend à s’attacher au métrage, puis on s'y plaît, avant de complètement adhérer.
C'est doux et sensible comme la caresse d'une brise d'été, reposant sur un équilibre fragile, une structure symétrique étonnante, un humour teinté de nostalgie et des sentiments
profonds qui peinent à s'exprimer. Cette chronique d'une famille extraordinaire est narrée sur un mode volontairement ordinaire où chaque instant, même le plus insignifiant, est appuyé jusqu'au
symbolisme, comme si le metteur en scène désirait s'acquitter d'une dette envers des êtres qu'il n'aurait pas assez aimés. En cela, le testament du grand père excentrique est d'une délicatesse et
d'un goût exquis : comment mieux exprimer ce qu'il n'a pas été capable de faire de toute sa vie d'ancienne gloire du manga, comment mieux déclamer son attachement à ses proches qui, finalement,
ont été toute sa vie qu’en leur offrant des cahiers personnalisés (une scène d'une pure beauté, et c'est d'autant plus émouvant que le cahier de la petite fille était en quelque sorte
prémonitoire) ?
Les défauts de l'oeuvre (comme le mode de narration : la voix off du début qui se perd ensuite) n'entachent en rien le plaisir subtil qu'on finit par y prendre, grâce aussi à la chaleureuse poésie qui se dégage de certains plans, légèrement onirique et souvent drôle. Ce surréalisme est à peine murmuré et, en ce sens, il définit toute l'humilité du film.
Un univers très attachant.
Et puis... qu'est-ce que c'est drôle ! Les personnages les plus secondaires sont la source des situations les plus comiques, comme lors du lancer de cailloux depuis le pont sur la berge, première séquence vraiment hilarante – mais on rit franchement aussi à plusieurs autres reprises (comme pour la scène où la secrétaire tabasse son patron façon manga, ou encore l’inoubliable chanson Yamayo ô Yamayo, et il ne faut pas rater l'histoire de l'oncle quand il était petit), ou on s’étonne de la bizarrerie des situations (le cosplay dans le train, le faux mort dans la boue !). J'aime aussi cette idée du pont qui sépare l'oncle de l'objet de son amour, un pont qu'il hésite à franchir mais qu'il emprunte chaque fois en même temps que sa nièce entre dans la forêt (là aussi, j’espérais secrètement qu’elle aboutirait dans la clairière où dort Totoro !).
Ce film donne le sourire, met de bonne humeur, il respire la nonchalance et procure l’envie de déguster une tasse de thé en
regardant le coucher du soleil, de profiter des bons moments de la vie ! Alors oui, c'est long, et ce n'est pas un film d'action mais comment ne pas succomber à son charme ?
Avez-vous remarqué le nombre de plans de coupe ? Ils concernent tous la nature (les cerisiers en fleurs, un ciel étoilé ou ennuagé, le soleil, la pleine lune, et surtout la campagne environnante qui semble constamment baignée dans une douce tiédeur...) ? C'est comme si, en plus d'être un magnifique écrin pour cette famille (à la manière des films de Miyazaki : je me suis surpris à guetter le camphrier de Totoro !), elle en était le dernier membre. Les éléments naturels sont partout, semblant veiller sur les protagonistes qui, tous, ont une blessure secrète, une faille qu'ils ne s'étaient pas encore décidés à combler - sauf la petite qui, par compassion ou empathie, s'invente un double géant (mes scènes préférées, je dois avouer) comme pour mieux coller à la figure de ses parents et frère - et aussi pour occuper inconsciemment des journées vides et mornes, sans ami ni partenaire. Entre la mère qui s'est lancée un défi professionnel qui lui prend toute son énergie, le père qui la désapprouve silencieusement, l'oncle qui rumine un amour déçu et le fils qui ne sait comment exprimer le sien, tous ont quelque chose à accomplir au sein du cercle familial dont le grand-père est le pôle magnétique.
Avez-vous relevé aussi la subtilité du travail sur le son ? C'est si bien pensé que cela agit comme de rares touches picturales. Et lorsque que la bande son s'agite, elle est d'une définition remarquable, où le moindre instrument est isolé avec bonheur, avec des effets stéréo particulièrement aériens.
Outre les indiscutables influences des animés précités des studios Ghibli, on pense aussi parfois à l’univers de Gondry. Le film rappelle également Little
Miss Sunshine dans l'enchevêtrement de ses rapports familiaux. Mais, alors que ce dernier échouait dans la facilité de son propos et par l'utilisation systématique des clichés les plus
éculés du cinéma indépendant américain, the Taste of tea transcende profondément son sujet pour lui faire atteindre une certaine grâce, le temps de regards,
d'hésitations, de sourires. D'ailleurs tout le film est construit sur des hésitations, tous ces personnages ont du mal à se lancer quand ils ont à dire quelque chose d'important : que ce soit
l'oncle qui raconte son histoire loufoque de fantôme ensanglanté, Hajime qui traîne à déclarer sa flamme devant une table de go, l'oncle encore devant son ex-fiancée, le mari qui
ne sait comment dire à sa femme combien il est fier de ce qu’elle fait (mine de rien, la façon dont il exprime le plus discrètement du monde son amour pour sa femme - une seule phrase qu'il
prononce à sa patiente après un coup de téléphone : "Mon ange à moi, c'est ma femme." - alors qu'il passe son temps à afficher une mine renfrognée, est d'une délicieuse élégance). Peut-être une
manière de critiquer la pesanteur des conventions sociales japonaises, qui favorise les non-dits et les frustrations. Mais c'est fait sans méchanceté aucune, juste un regard attendri. Je crois
que si on cherchait un parallèle français, ce serait quelque part entre Un éléphant ça trompe énormément et le Bonheur est dans le pré.
Un vrai plaisir à se repasser par un bel après-midi d'été par exemple, pour partager encore une fois la vie de cette famille japonaise si attachante, et communier lors de la scène finale avec le
coucher de soleil et tous les personnages qui l'observent chacun de l'endroit où ils se trouvent : juste magique.
Merci à Lilirose, Satine, Nico bien sûr, TWIN et au Divin G.