Produire une fashion story, c'est compliqué. Très compliqué. C'est un peu comme quand on est petit et qu’on joue pour la première fois à street fighter: au début, on terrasse l'ennemi Blanka avec facilité mais au bout du second ou troisième combat, il faut sévèrement s'entraîner avant de pouvoir se vanter d'avoir réussi la super fin. C'est d'ailleurs bizarre ce job de styliste photo: c'est quoi un bon styliste photo? Quel est le principe du job exactement? Quelles sont ses qualités? Alors, on essaye, on verra bien... Qui ne tente pas, ne s'améliore pas. Pour l'instant, on a suivi notre instinct. Dans fashion story, il y a fashion mais aussi story et franchement, pour avoir bouffé de la série mode dans les "vrais" magazines, souvent il y a plus de fashion que de story. En même temps c'est compréhensible, le but d'un magazine est de vendre du rêve, du luxe et de la beauté grâce aux fringues. C'est donc logique qu'ils mettent en scène des canons anatomiques dans du luxe créatif hors de portée des bourses les plus fragiles... L'inaccessibilité crée le désir qui pousse à faire exploser le tiroir-caisse. Il ne faut pas se leurrer, le magazine n'est pas là que pour la beauté de l'art, sinon on aurait du Theyskens (époque Ricci) toutes les trois pages. Mais quand on a une conasse qui fait sa nonchalante sur une plage à Cancun pendant 16 pages, quel est vraiment l'intérêt? Avouons que c'est foutrement chiant. La seule qui réussissait tant bien que mal à donner de la beauté à l'image en lui conférant une histoire logique digne de ce nom, c'est Carine (Roitfeld). Est-il nécessaire de rappeler que la grosse rumeur veut qu'elle ait été virée pour que celle qui la remplace fasse plus commercial? Du coup, on a décidé de prendre la chose à contre-sens. Si la mode est importante, l'histoire qu'elle dégage l'est d'autant plus qu'elle provoquera le désir de celles qui se reconnaîtront dedans. On est donc parti de l'idée d'une bourgeoise minimaliste, star de la saison dernière et qui est encore de mise l'hiver prochain (succès de Céline oblige). Elle a l'indépendance des femmes d'affaires, qui savent ou elles vont et où elles veulent aller mais n'exclut pas pour autant de vivre un romantisme passionné, un rêve qui les poursuit comme si le but ultime était de trouver l'homme qui sera admiratif de ses puissants talents. Intellectuelle, un brin sournoise, il ne faut pas lui marcher sur les pieds. D'un coup de talons acéré, elle vous écrasera si elle considère que vous n'êtes pas à la hauteur. C'est son coté perfectionniste, sa vision de la vie.
Pour représenter cette oxymore de puissance fragile, nous avons choisi Justine. Premièrement parce que c'est la plus belle femme de l'univers, c'est un fait. Mais aussi parce qu'il était intéressant de mêler sa personnalité et son physique au jeu de la transformation. Un choix qui n'est pas anodin tellement ses yeux félins et sa beauté apparemment glaciale représente bien l'image que l'on pourrait se faire d'une patronne castratrice avec laquelle nous pourrions envisager une relation amoureuse un tantinet masochiste. Et pourtant son visage si rond, si enfantin, vient quand même faire planer le fantôme de la vulnérabilité. La demoiselle s'enveloppe alors d'un mystère qui donne envie d'aller vers elle tout en ayant peur d'être réduit en miette par trois mots vénéneux.
Puis l'histoire qui émerge de notre tête se veut celle de beaucoup de femmes autour de la pré-trentaine: rentrée plus tôt d'un casual friday où elle a tyrannisé sa cour d'assistant mâles, la dame aux grosses couilles en mode très boyish chic joue la jeune fille folle sur sa cheminée en marbre qui lui sert de décoration moderne. Forcément! Car elle s'enivre de savoir que ce soir son galant lui a promis le fameux dîner aux chandelles du troisième rendez-vous (NDLR : cela peut paraître cliché mais toutes les histoires ont leur quota de clichés et, aussi tyrannique qu soit cette femme, nous avions l'envie qu’elle croie encore au lyrisme le plus absurde).
Papier hommage dédié à my mommy, Mireille Soccoro, pour m'avoir insuffler l'amour de la (vraie) mode et des belles choses.
UN MERCI INFINI à : Julie Calbert, Justine Gustin, Constance le Hardÿ et sa maman, Aurore Brun, Elena Vasilieva, Foxhole, Bernard Gavilan, Céline Collard, sans qui ... pas d'histoire à raconter!PHOTOGRAPHIE : JULIE CALBERT.MISE EN BEAUTÉ : ALEXANDRA BAUDSON.Bien à vous.