Par le docteur Fou-Fou
"Science sans conscience n’est que ruine de l’âme". Mmouais, c’est facile de pondre de belles maximes, mais j'aimerais bien l'y voir, le Rabelais, tiens ! Etre scientifique, c’est une longue accumulation de frustrations. Tout petit déjà, à l'école, le génie en herbe, forcément bigleux et malingre, subit les railleries de ses camarades. En cours de gym, il sait peut-être calculer jusqu'à la cinquième décimale la période d'oscillations de la corde à laquelle il pendouille lamentablement, mais pour ce qui est d'y grimper, à cette corde, rien à faire. Tandis que l'australopithèque dernier de la classe y monte les doigts dans le nez, comme soulevé par les gloussements admiratifs des filles.
Plus tard à la fac, même chose. Il passe ses soirées à potasser un précis de thermodynamique statistique tandis que ses congénères moins doués révisent leur anatomie avec les Suédoises du bâtiment E de la cité universitaire. Il n'y a pas que la relativité qui est restreinte, sa vie sociale (et, par voie de conséquence, sexuelle) aussi.
Une fois bardé de diplômes, l'existence du scientifique ne s'améliore guère. Au mieux, il arrive à se trouver une femme. Mais celle-ci, lassée de partager sa vie avec un rat de laboratoire qui ne rêve que d'avoir une publication acceptée dans la revue "Nature", finira inlassablement dans les bras bronzés et musclés du jardinier. C'est la loi de la Nature, justement : le mâle Alpha se tape les femelles, le mâle Oméga se console en résolvant des équations différentielles. Et ne parlons même pas du gouvernement qui lui grignote chaque année un peu plus son budget, de sa hiérarchie qui lui fait remplir douze pages de paperasse lorsqu'il veut se commander un nouveau taille-crayon.
Alors pas étonnant que de temps en temps, l’un de ces illustres personnages en blouse blanche pète un fusible. Dans l'isolement de son laboratoire encombré de fioles, cornues et alambics, d'oscilloscopes et de bobines de Helmholtz, il va concevoir un plan, forcément machiavélique, pour se venger et prouver au monde incrédule qu'il avait raison. Il fait ça un peu pour obtenir la puissance et la gloire, aussi.
Le cinéma ne pouvait ignorer un thème aussi riche.
Voici une petite galerie de portraits de docteurs mabouls qui donnent parfois envie de crier "CNRS, SS !", de scientifiques maléfiques, de scélérats avec un doctorat, de nobélisables méprisables ou de charlatans qui font rimer thèse et foutaise. Elle est forcément très incomplète, on pourrait en remplir des pages et des pages.
Il y a d'abord les films dans lesquels l'ego démesuré du scientifique le pousse à se mesurer au Créateur. On peut citer bien sûr toute la série des Frankenstein (personnellement j'ai une préférence pour ceux de la Hammer) ou encore L'île du docteur Moreau (The island of Dr. Moreau, Don Taylor, 1977) ou Le continent des hommes-poissons (L'isola degli uomini pesce, Sergio Martino, 1979), ce dernier étant vraisemblablement inspiré par le premier. Dans les deux cas, des naufragés atterrissent sur une île où un savant veut contrarier Darwinn. Un peu le croisement entre Koh-Lanta et la génétique, en gros. Dans les deux films, la partie séduction est assurée par deux Barbara qui ont en commun d'avoir été Bond girls, Carrera pour le premier, Bach pour le second.
Il y a ensuite les films où le savant invente un truc rigolo, quand on n'est pas soumis à ses effets en tout cas. Comme dans Docteur Cyclope ((Dr. Cyclops, Ernest B. Schoedsack, 1940) dans lequel le réalisateur de King Kong en 1933 s'intéresse à la miniaturisation (hmmmouais, passer d'une créature gigantesque à des êtres minuscules, à mon avis ses producteurs lui avaient réduit drastiquement son budget). Installé au coeur de la jungle amazonienne, le docteur Thorkel (surnommé Cyclope à cause de sa mauvaise vue, ce qui est débile, mais Docteur Taupe, ce n'était pas top, justement) mène des travaux top secrets (décidément...). Une équipe de scientifiques américains (avec l'obligatoire jolie assistante) vient troubler sa quiétude. Pas de souci, le docteur va les réduire à la taille d'un Action Man. Les malheureux vont évidemment devoir se coltiner tous les dangers que peut receler une jungle ou un pavillon de banlieue quand on mesure 25 cm de haut. Quand on pense que le film a été réalisé à l'époque où les futurs ingénieurs d'IBM qui allaient inventer le disque magnétique mangeait encore de la blédine, la qualité des effets spéciaux impose le respect.
Sur le même thème, on a bien sûr L'homme qui rétrécit (The incredible shrinking man, Jack Arnold, 1957) mais il n'a pas vraiment sa place ici, puisque le héros n'est pas un scientifique, il voit sa taille diminuer après avoir traversé un nuage radioactif (ouf, ça ne risque pas de nous arriver en France, les nuages radioactifs n'osent pas franchir nos frontières, c'est bien connu.)
Il est parfois sa propre victime, comme dans La mouche noire (The fly, Kurt Neumann, 1958), où, en voulant inventer un dispositif de téléportation, un brave physicien se retrouve avec une tête de mouche. Il demande alors à sa femme de retrouver la mouche qui doit se balader quelque part avec sa propre tête, dans l'espoir d'inverser le processus. Madame est un excellent choix, les femmes sont douées pour prendre la mouche. Il y a aussi L'homme singe (The ape man, William Beaudine, 1943) dans lequel Bela Lugosi se retrouve affublé d'une pilosité qui va le ruiner en rasoirs Bic, après une expérience qui a mal tourné.
Il y a également des comédies, comme Docteur Jerry et Mister Love (The nutty professor, Jerry Lewis, 1963) ou L'homme aux deux cerveaux (The man with two brains, Carl Reiner, 1983). Ce n'est pas compliqué, ce dernier constitue à mes yeux le film le plus drôle de l'histoire du cinéma, à égalité avec Frankenstein Junior (Young Frankenstein, Mel Brooks, 1974). Le docteur Hfuhruhurr (l'inégalable Steve Martin), spécialiste de la transplantation de cerveaux, est trompé par sa compagne (jouée par Kathleen Turner) qui lui préfère leur jardinier musclé et bronzé (qu'est-ce que je vous disais plus haut ?). Il tombe alors amoureux d'un cerveau dans un bocal, pour lequel il va partir à la recherche du corps féminin parfait. Le scénario est inspiré d'une autre histoire de savant fou, Le cerveau qui ne voulait pas mourir (The brain that would'nt die, Joseph Green, 1962). Les productions Fury Magazine préparent une suite, Le cerveau qui ne voulait pas regarder TF1.
Parfois, l'univers du savant fou se télescope avec celui de l'espionnage, comme dans Dr. No (James Bond contre Dr. No, Terence Young, 1962) ou dans Dr. Goldfoot and the Bikini Machine (1965, Norman Taurog), et sa suite L'espion qui venait du surgelé (Le spie vengono dal semifreddo ou Dr. Goldfoot and the Girl Bombs, Mario Bava, 1966). Dans les deux films, Vincent Price incarne un scientifique bien déjanté qui cherche à inonder l'humanité avec des jolis robots aux formes avantageuses. Bon, pour être honnête, c'est un peu con, mais ça se laisse regarder.
Terminons avec le thème toujours pas éculé (non Goudurix, ce n'est pas un gros mot) de la vengeance. Dans
L'abominable Docteur Phibes (The abominable Dr. Phibes, Robert Fuest, 1971), le docteur Phibes, brillant mais abominable (c'est précisé dans le titre) veut se venger de l'équipe
médicale qui n'a pas été fichue de sauver sa femme adorée de la mort. Une de perdue, dix de retrouvées, il ne connaît pas, lui. Faut dire qu'il a été gravement brûlé dans un accident de voiture,
alors son potentiel de séduction en a pris un coup. Il se traîne désormais un visage qui découragerait l'employée d'agence matrimoniale la plus motivée du monde. Faut dire aussi que sa femme
était jouée par Caroline Munro, quand même. Bref, le docteur va nous massacrer tous ces médecins incapables, en déployant à chaque fois des trésors d'imagination inspirés des dix plaies de
l'Egypte.
Bien, je vous laisse, Wally Gator est en train de se réveiller, je viens de lui greffer l'hypothalamus d'un lamantin pour diminuer son agressivité, j'espère que ça va marcher...